Les Oubliés de la Brume

24. LE SAS

THORN

   Thorn est seul au milieu de ce champ de bulles, sans personne pour l'en sortir. Mais ce n'est, de toute manière, pas son intention.

Son esprit devient plus serein, irrépressiblement attiré par ces incongruités. Un long moment, peut-être des heures, peut-être des jours, il se laisse aller à observer les bulles d'apesanteur, comme s'il contemplait les nuages dans un ciel bleu azur.

Au bout d'une léthargie sans fin, son regard s'accroche avec stupeur à un objet dans l'une des bulles juste à côté de lui. Il se rapproche autant qu'il peut, plisse les yeux pour mieux voir.

Un puits.

Le puits dans lequel il était allé chercher la petite de Berenilde est en suspension dans la bulle. Allons bon. Que fait ce puits dans cette bulle ? Est-ce la bulle qui s'est retrouvée à emprisonner le puits, ou le puits qui est venu s'engouffrer dans la bulle ?

Il reste un long moment à le regarder tournoyer, cogner sur les parois solides de sa prison de verre. Ou plutôt de ce qui ressemble à du verre.

Son regard est attiré par la surface du sol où est posée la bulle. Une surface liquide. 

L'eau brillante s'agite un peu, beaucoup, engendrant chez Thorn une sensation angoissante. Que se cache-t-il sous cette surface ? L'émulation du liquide finit par générer un tourbillon de bleu, scintillant à en écorcher les yeux. Thorn peut entendre les clapotis de l'eau qui se sont transformés en claquement d'énormes remous.

L'eau bouillonne de plus en plus, jusqu'à exploser. Le puits semble alors aspiré par la surface liquide agitée, pour tomber dans ses profondeurs. Aspiré jusqu'à s'y noyer, et disparaître.

Plus de puits. C'en était fini de lui. Où était-il à présent ? Arrimé à la terre solide et brune d'une forêt de l'Endroit ? Thorn aime tant à l'espérer.

Il reste là, sans plus oser bouger devant ce dont il vient d'être témoin. Que vient-il de se passer ? Le puits était là, dans cette bulle, et a disparu sous la surface réfléchissante. Celle-ci a déjà retrouvé sa plénitude. Paisible. Le calme après la tempête. Et avant aussi.

Après un moment trop silencieux à rester devant cet incroyable élément perturbateur, la surface se remet en mouvement. Les vagues prennent de l'ampleur jusqu'à donner l'impression que de la grêle tombe dessus, et au climax de cette perturbation, quelque chose sort de la surface. 

Un arbre. 

Un arbre qui à son tour se met à se mouvoir dans l'apesanteur que constitue l'intérieur de la bulle.

Thorn ne peut plus contrôler son envie irrépressible de toucher la surface transparente. Il avance la main avec hésitation, regardant les ondes lumineuses que génèrent les parois. Lorsque son doigt entre en contact avec la surface, il a l'impression de le plonger dans de l'eau. Il enfonce un peu plus sa main dans la cloison. La sensation est tellement agréable qu'il veut enfouir son bras aussi.

La chaleur qui règne dans la bulle est paradoxalement aussi douillette qu'un cocon dans lequel on chercherait à se lover, et piquante comme une brûlure engendrant une vilaine plaie. Il retire aussitôt son bras à cette sensation.

A peine a-t-il attrapé son poignet de son autre main, encore sous le choc des perceptions intenses qu'il vient de ressentir, qu'une ombre lui frôle l'épaule.

Il se retourne, pensant se retrouver face à Ambroise 1er et Lazarus. Il aimerait pouvoir comprendre et se soulager des mille questions qui lui obstruent le cerveau. Que sont ces bulles ? Serait-ce une sorte de sas entre l'Envers et l'Endroit ? ou entre l'Envers et un autre monde ? Où vont ces choses qui disparaissent de la bulle ? Étaient-elles présentes avant l'assemblement des terres anciennes et des arches, provoqué par Ophélie ? Un coin de ses lèvres se relève d'un nanomètre. Ça ne l'étonnerait qu'à moitié qu'elle soit à l'origine de ces choses inexplicables.

Mais l'ombre s'éloigne. Thorn tente de la suivre entre les bulles. De par leur transparence, il visualise le chemin qu'elle emprunte, malgré la brume qui les entoure. Mais il se rend vite compte qu'il tourne en rond.

Il se retrouve de nouveau devant l'arbre qu'il avait vu quelques instants plus tôt. A moins que c'en soit un autre. Mais il doute que l'Envers ait besoin de construire une forêt entière.

Qu'est-ce que lui veut cette ombre ? Il se fait peut-être du souci pour rien. Mais il a le pressentiment que ce n'est pas une simple visite de courtoisie, comme c'était le cas pour Ambroise Ier. Il se sent suivi depuis un moment, déjà. Et s'il y a un élément positif, ici, dans l'Envers, c'est qu'il a l'impression d'avoir développé un nouveau sens, une sorte d'instinct. Une chose hors de toute logique, qu'il a pu constater de ses propres yeux quand sa femme agissait ainsi. Il secoue la tête à cette idée. Thorn, un instinct, qui aurait pu croire que ces deux mots puissent être liés un jour ?

Il est certain d'avoir devant lui un des chaînons du fonctionnement de ce monde. Au plus il s'engonce dans cette idée de vouloir mettre de la logique dans tout cela, au plus les silhouettes des bulles s'éloignent, jusqu'à disparaître totalement. De nouveau, seul le blanc l'entoure. Et l'angoisse l'envahit aussi, alors qu'il ne sait pas pour combien de temps il ne verra que du blanc.

*****

Hello,

J'espère que les chapitres du pdv de Thorn ne sont pas trop perchés ? 😅 Je vous assure que je ne balance pas des idées au hasard, et que petit à petit des connexions vont se faire ^^ Enfin, dites moi si ce n'est pas clair, hein ? 

Je pense que le chapitre de la semaine prochaine vous permettra déjà d'en faire une, de connexion 😋

En attendant, passez une bonne semaine ^^