12. LA MER

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   Lorsqu'Ophélie amorça la descente des escaliers d'embarquement du dirigeable, l'écharpe s'accrocha de toutes ses forces à la rambarde pour leur éviter à toutes les deux de tomber sur Pan, le jongleur de foudre, qui sautillait de marche en marche avec aisance devant elles. Ce n'était pas le moment de faire tomber toute la petite troupe.

Pourtant, au vu de ce qui se présentait devant eux, Ophélie chancela, à deux doigts de plonger par-dessus bord. La mer s'étirait à perte de vue. Cette immense étendue de bleu se mêlait au ciel qui en avalait les nuances. Sans le mouvement de l'eau et les quelques nuages blancs épars au dessus de leur tête, on aurait pu croire que l'un et l'autre ne faisaient qu'un.

Tandis que les machinistes s'attelaient à leur tâches pour refaire une beauté aux dirigeables multicolores de la Caravane, le reste de l'équipe s'installa sur la plage. Certains marchaient le long de l'eau, le regard tourné vers l'écume qui s'échouait à leurs pieds, d'autres profitaient de la lumière et la chaleur du soleil pour bronzer un peu.

Absorbant les effluves d'algues et de sel, Ophélie, elle, ne pouvait détacher ses lunettes de toute cette eau qui semblait la submerger. C'était la première fois qu'elle voyait vraiment la mer. Bien sûr celle-ci faisait maintenant partie du paysage de Babel depuis qu'elle était réapparue avec les terres de l'Ancien Monde, mais c'était différent. Là-bas elle comblait seulement le vide entre les arches. Mais ici, on ne voyait qu'elle. Ophélie en aurait eu presque peur.

Elle entendit des protestations derrière elle. Elle mit sa main en visière, plissa les yeux, espérant voir un peu mieux malgré la luminosité aveuglante qui frappait ses lunettes, et remarqua qu'un groupe d'individus s'était mélangé aux circassiens. Des anciens-nouveaux habitants avaient sûrement repéré les dirigeables colorés et venaient assouvir leur curiosité sans borne. Il y avait donc encore des survivants.

Elle observa ces gens venus de loin. Et de près en même temps. C'était juste là finalement. Juste Derrière. D'un geste de la main, elle frôla l'air invisible, imaginant tout l'aerargyrum qui devait se condenser quelque part, ici.

Ces habitants des terres anciennes avaient passé tellement d'années dans l'Envers. Est-ce qu'ils ne leur restaient vraiment aucun souvenir ? Ne pourraient-ils pas aider Ophélie à comprendre un peu mieux ce monde miroir ? A lui expliquer ne serait-ce que quelques principes qui pourraient lui être utiles pour accéder à ce lieu et retrouver Thorn ?

Elle n'eut pas besoin de s'avancer vers eux pour les questionner. Un trio de ces individus étranges venaient vers elle. Arrivés à son niveau, comme à leur habitude, ils ne pipaient mot. Simplement ils observaient ce petit bout de femme aux doigts animés et à l'écharpe agitée avec des yeux remplis d'intérêt et d'admiration.

Au bout d'un long moment à les considérer elle aussi, Ophélie se décida à prendre la parole. Ça lui coûterait quoi ? Au pire, un long silence lui répondrait.

— Vous étiez dans un autre monde il y a peu. Un monde de brume, est-ce que vous vous en souvenez ?

Pas de réponse.

— J'aimerais... J'aimerais essayer d'y aller, dans ce monde. Je ne sais pas comment faire...

Le trio observait ses lèvres bouger, d'où sortaient des sons, des syllabes, des mots. Des mots qu'ils ne semblaient pas comprendre.

— Vous n'auriez pas une idée ? Des informations à me donner pour m'aider ?

Aucune réaction de la part des anciens-nouveaux habitants, si ce n'est des yeux oscillants sur le visage d'Ophélie, de ses lunettes à sa bouche, de sa bouche à ses lunettes.

— S'il vous plaît. Je voudrais... J'ai besoin d'aller dans la brume. Dans l'aerargyrum.

L'un des hommes sourit et se mit à pointer la mer à quelques mètres d'eux. Ophélie se tourna pour voir si quelque chose était apparu à l'horizon. Mais rien de plus que tout à l'heure ne semblait combler le paysage, si ce n'est cette eau à perte de vue. Elle sentit quelqu'un lui toucher l'épaule, ce qui la fit pivoter brusquement. L'homme qui pointait toujours son doigt vers les vagues, l'enjoignit d'avancer vers l'immensité bleu. Elle fit quelques pas, pour se retrouver tout près des vaguelettes qui s'échouaient sur le sable. L'homme semblait vouloir qu'elle aille plus loin, dirigeant toujours son doigt vers l'eau à ses pieds.

Après un moment d'hésitation, elle finit par retirer ses bottines, aidée par l'écharpe. Les pieds nus, elle décida de faire quelques pas encore. Une vague avança pour lui lécher les orteils. Le froid piqua sa peau endolorie, mais la sensation était agréable tandis que le soleil au dessus de sa tête l'enveloppait d'une chaleur presque incommodante. L'écume se retira, Ophélie avança encore un peu, hypnotisée par le mouvement de l'eau qui courait sur ses pieds, allant et venant.

Elle retroussa sa robe pour se retrouver avec de l'eau jusqu'aux tibias. Elle jeta un œil derrière elle, un sourcil relevé. Les trois anciens-nouveaux habitants étaient restés sur le sable, à la regarder avancer dans l'eau, pointant tous les trois leur doigt vers la mer.

Ophélie observa ses jambes déformées par les ondulations de l'eau. L'écume avait laissé la place à des mouvements de vagues réguliers, l'eau claire permettait de voir le sable au fond.

Et c'est là qu'elle le vit.

Elle écarquilla les yeux tant elle était surprise. C'était impossible. Elle se pencha pour se retrouver nez-à-nez avec la surface ondulante.

De la houle se dégageait une sorte d'écume. De l'écume à l'intérieur de l'eau. De la brume à l'intérieur de l'eau. De l'aerargyrum. 


*****

Hello les loulous,

De l'aerargyrum dans l'eau... Que doit faire Ophélie maintenant ?

La suite le week-end prochain (trop dans le rush pour écrire en ce moment. Vous aussi ?)

Bisounours 



Les Oubliés de la BrumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant