Les Oubliés de la Brume

14. LE GUIDE

   Thorn éprouve un soulagement lorsqu'il aperçoit enfin celui qu'il espérait retrouver, là, juste devant lui. Non pas qu'il apprécie la compagnie ; s'il y a bien un élément positif dans cette situation, c'est le fait que ni la cour du Pôle ni les Lords de Lux, ni personne ou presque d'ailleurs, ne se trouvent ici avec lui. Une seule femme lui manque et il compte bien faire en sorte de l'avoir à l'œil, si ce n'est être auprès d'elle.

De longs cheveux blancs qui devraient être noirs à l'origine, un visage d'adolescent, un style vestimentaire purement babélien. C'est Ambroise qui se tient devant Thorn. Ou plutôt Ambroise 1er. Cet homme qui, il y a fort longtemps, avait décidé de tester la Corne d'Abondance sur son propre corps et partir voir ce qui se cachait dans l'Envers. Cet homme qui avait suivi Ophélie des années durant dans l'Endroit, telle une ombre bienveillante.

Les yeux en amande d'Ambroise 1er s'inclinent vers le grand corps avachi de Thorn. Celui-ci s'appuie contre la porte derrière lui pour se redresser sur ses deux jambes de flamant rose et revoir le monde du haut de son mètre quatre-vingt-treize. C'est là qu'il aperçoit une deuxième silhouette collée, cachée derrière celle du babélien. Lazarus.

Lazarus et Ambroise 1er ensemble. Thorn écarquille les yeux devant cette improbabilité qui finalement est tout ce qu'il y a de plus logique. Il observe un instant ces deux êtres aux couleurs inversées, frôlés par la brume qui poursuit sa route sans faire attention aux possibles obstacles qu'elle rencontre. Les années de séparation distinguent à présent les deux hommes ; le vieil explorateur a continué de vieillir dans l'Endroit, le temps dévalant sur sa peau maintenant abîmée, recouvrant ses cheveux d'un manteaux gris, devenu bleu ici, pendant que son ami, lui, apprenait à vivre dans ce monde figé de l'immortalité.

Thorn baisse les yeux vers leurs mains liées ; un pincement lui aurait tiraillé le cœur s'il pouvait encore ressentir la douleur. Lui aussi aimerait s'accrocher à sa moitié manquante. Va-t-il devoir attendre plus de quarante ans, comme eux, pour pouvoir le faire ?

Lazarus détache ses doigts de son compagnon pour les déposer finalement sur son épaule et avancer de quelques pas vers l'ancien intendant, un sourire étincelant fendant son visage d'éternel optimiste. Son regard malicieux que Thorn a toujours eu en horreur est le même ici. A croire que quoiqu'il arrive, l'explorateur voit toujours à travers ses lunettes originellement roses. Il y a de quoi, cela dit ; il a retrouvé son ami, qui de surcroît est l'un des seuls êtres à avoir compris une partie des règles de ce monde déroutant dans lequel ils se retrouvent tous trois coincés.

Lazarus avance une main, certainement dans l'idée de serrer celle de Thorn, mais ce dernier l'ignore pour concentrer son attention sur Ambroise Ier. C'est lui qu'il cherche depuis qu'il est arrivé dans l'Envers. Il sait qu'il est le seul à pouvoir lui apprendre à tirer certaines ficelles de ce monde de brume. Et peut-être l'aider à veiller sur Ophélie.

Contre toute attente, le babélien avance à son tour sa main pour attraper celle de Thorn. Celui-ci frissonne à ce contact. C'est le premier depuis l'éternité qu'il a passée ici. Et la seule personne dont il accepte ce genre de geste familier, intime, est sa femme.

Pourtant, le regard bienveillant de l'homme au physique d'adolescent le pousse à se laisser faire. Il comprend, sans qu'aucun mot ne puisse être prononcé, que le seul moyen de ne pas se perdre dans le brouillard est de s'accrocher l'un à l'autre.

Thorn a beau préféré cheminer seul, il doit avancer. Et si l'unique solution pour cela est de devoir accepter la communication non verbale et tenir la main de cet homme, alors il doit accepter cette condition, allant pourtant à l'encontre de ses règles d'hygiène.

Aussitôt cette pensée le traverse que le monde se modifie autour d'eux. La brume laisse entrevoir des éléments en relief qui approchent, approchent encore, jusqu'à ce que les trois hommes arrivent à distinguer ce qui ressemble à d'immenses bulles transparentes. Thorn n'en croit pas ses yeux. Un champ de bulles les encercle. 

*****

Tout petit chapitre, mais Thorn avance doucement dans la brume...

Lazarus, Ambroise, vous les aimez bien ?

A la semaine prochaine où on retournera auprès d'Ophélie, histoire de voir si elle n'a pas trop bu d'aerargyrum en plus de l'eau de mer 😜