37. LES DEUX VICTOIRE

510 27 36
                                    

THORN

   Thorn est allongé sur le sol de brume, attendant que ses pensées s'échappent de lui. Mais depuis qu'il a entrevu Ophélie dans le lit de cette chapelle de glace, il y a quelques minutes ou quelques années, ses neurones tracent leur cheminement comme ils en avaient l'habitude dans l'Endroit, fonctionnant à tout-va, carburant sans plus pouvoir s'arrêter. Oui, depuis qu'il a revu sa femme, il se retrouve coincé sur ce sol, sans aucune maîtrise de l'environnement qui change aussi vite que le mouvement de la brume.

Il est cloué à terre, incapable de bouger. Perdu.

Jusqu'à ce que son cerveau se mette en pause, sans même le maîtriser. Comme si quelqu'un prenait possession de ses capacités intellectuelles. Il entend un appel. Pas avec ses oreilles, puisque ceci est impossible dans l'Envers. Plutôt un appel instinctif. Qu'il a déjà éprouvé ici.

Un appel qui le pousse à se lever, et à marcher, ou laisser le monde marcher à lui, jusqu'à se retrouver devant cette fichue porte. Encore. Il la connaît beaucoup trop bien, cette porte. Un peu plus que cela, même.

Cette porte qui était si souvent restée close.

Mais pour la première fois, devant, se trouve une ombre. Thorn reste un moment à observer cette forme sombre se mouvoir. Comme dotée de tentacules, elle semble vouloir aspirer le bois contre lequel elle bute. Ses bras passent de chaque côté de la porte, et Thorn devine qu'ils fouillent l'autre côté.

L'autre côté, où il entrevoit une mèche de cheveux noirs voltiger dans la brume. Il avance, et balaie de ses longs bras à lui l'ombre.

L'Autre.

La chose frissonne alors, se rétracte, et s'enfonce aussitôt dans le brouillard. Thorn aurait voulu le rattraper ; ils ont des choses à se dire. Mais ce n'est pas le moment. Il y a plus urgent.

Il pose, pour la énième fois, sa main sur la poignée, et sait que cette fois-ci sera différente. Il l'abaisse sans aucune résistance. Aussitôt le battant ouvert, qu'une petite chose tombe à la renverse sur ses chaussures. Il reconnaît tout de suite la fille de Berenilde.

Décidement, elle a cette manie de venir se perdre dans ses jambes. Il remarque son visage, une seconde plus tôt empreint d'une angoisse asphyxiante, maintenant illuminée par l'espoir. C'est lui qu'elle attendait. Et sans qu'il puisse retenir cette émotion déconcertante, cette pensée lui enflamme le cœur. Cette petite chose est venue ici pour lui.

Il abaisse son long corps jusqu'à se retrouver plié comme une feuille de papier dans un portefeuille, et prend dans ses bras la fillette. Leurs yeux entrent en collision. Ils deviennent une bouée, l'un pour l'autre.

Sans comprendre comment ni pourquoi, Thorn laisse le monde se diriger vers l'endroit le plus sûr pour l'enfant. Il retrouve pour elle son chemin.

Dans le salon de Berenilde, malgré le brouillard qui l'étouffe presque, Thorn distingue chaque élément de la pièce. Un petit corps sur le canapé, les mains sur ses oreilles bouchées, paraît figé. Berenilde, Archibald, Roseline, eux aussi, semblent paralysés devant l'enfant. Plus loin, dans un coin de la pièce, se trouve Ophélie, aussi prostrée que le cœur de Thorn en apercevant ce tableau. Plus rien ne bouge.

— Thorn...

La voix sort du petit corps inanimé sur le canapé.

— Thorn, ici.

À ces mots, il voit Ophélie sursauter, sortir de sa torpeur tel un papillon s'extirpant de son cocon, et fouiller de ses yeux myopes la pièce comme une bête affolée.

La petite fille dans les bras de Thorn, invisible tout autant que lui, remue pour être déposée sur le sol ; mais sa minuscule main reste agrippée aux longs doigts de son cousin. Elle le guide alors jusqu'à Ophélie, tandis que le corps de la Victoire sur le canapé débouche ses oreilles, décroise ses jambes, et se lève. Ignorant les yeux de tous braqués sur elle, elle s'approche aussi de sa marraine.

La scène paraît encore plus psychédélique que tout ce que Thorn a vécu dans l'Envers. Victoire semble pouvoir maîtriser ses deux corps en même temps.

Berenilde, Archibald, Roseline restent subjugués par l'aura de l'enfant, celle qu'ils ont devant eux. Aucun n'ose s'approcher de la fillette, tant elle est déterminée. Celle-ci attrape la main d'Ophélie, et la dirige vers son mari invisible. L'autre Victoire, toujours agrippée à son cousin, se dresse sur la pointe des pieds pour déposer la main de Thorn sur la joue de sa marraine.

Thorn ressent à la fois une explosion de son cœur et un profond découragement, quand ses doigts n'entrent pas en contact avec le visage de sa femme. Pourtant, le moment déborde d'émotions de part et d'autre du monde. Chacun sent la présence de l'autre, sans pouvoir en être réellement témoin. Ophélie ferme les yeux, comme si elle devinait où se trouvait la main de son mari. Leur cœur bat à l'unisson alors qu'un univers les sépare.

Puis il est temps de briser cette nouvelle parenthèse. En un millième de seconde au ralenti, les Victoire ne font plus qu'un, Thorn se perd dans la brume. Ophélie aussi, dans un sens.


*****

Salut à tou·te·s,

Comment se passe votre été ?

J'espère que ce chapitre vous a plu ? Nos deux tourtereaux se retrouvent presque ! Oui, presque...

J'espère aussi que le passage avec les deux Victoire vous a semblé clair 😅. Si ce n'est pas le cas, dites-le moi, je le retravaillerai ;)

Des pronostics pour la suite ?

xoxo

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Jul 19, 2021 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Les Oubliés de la BrumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant