21. L'EXTÉRIEUR

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L'EXTÉRIEUR

   Quand Ophélie arriva à quatre pattes à l'autre extrémité du tunnel, elle était déjà frigorifiée du petit orteil au sommet des oreilles. Elle sentit son nez se glacer une bonne fois pour toute au contact du vrai dehors. Le silence si singulier de la neige fut balayé par une bourrasque de vent qui s'engouffra dans chaque maille de vêtements, puis s'agrippa de ses griffes affutées à son épiderme.

Ce qu'elle vit à travers ses lunettes n'était que du blanc. Elle fut d'ailleurs prise d'une certaine inquiétude quant à la résistance de ses lunettes aux conditions aussi extrêmes.

— Le plus dur est devant nous ! Ne perdons pas de temps, il est déjà tard et nous sommes en train d'utiliser de l'énergie.

Elle sentit le souffle chaud de Waban tout près de son oreille et frissonna tant elle aurait aimé s'y plonger totalement.

Quand l'Alchimiste la devança à l'entrée de la cavité, Ophélie le regarda se lever, là, dans ce qui lui sembla être une tempête de neige. Elle se rappela la première fois qu'elle était arrivée au Pôle. En descendant du dirigeable, elle s'était prise une gifle de froid en pleine figure. Mais le Pôle était Arc-en-Terre à côté de Plombor. Aucune once de végétation se trouvait à l'horizon. Rien qu'un sol de glace et un ciel... de glace également, semblait-il.

Ophélie se recroquevilla dans sa pèlerine de fourrure, sous son bonnet, au fond de ses gants et ses bottes fourrées, pendant que Waban accrochait une corde à sa taille, qu'il attela ensuite autour de la sienne.

— Pour ne pas se perdre ! cria-t-il par dessus les chants tumultueux du vent. Il faut avancer maintenant !

Rebiffée par le blizzard violent et glacial, ne voyant rien à travers ses lunettes où le givre s'accumulait, Ophélie se focalisa sur la tache sombre devant elle et ordonna à ses pieds de se mouvoir. Elle se sentait tirée par la corde, qui l'empêchait de reprendre correctement sa respiration. A moins que ce ne soit ce froid incisif qui l'empêcha de respirer.

Après seulement quelques pas de torture, Waban se retourna et lui tendit la main. Elle la serra comme si elle n'avait jamais vu personne depuis des années, et qu'elle crevait d'envie de retrouver le contact et la chaleur humaine. Et puis ils avancèrent ensemble dans la violence de ce que leur offrait cette terre hostile.

Elle comprenait les Plomboriens qui avaient fait le choix de s'enterrer plutôt que d'affronter ces conditions. Au loin, le hurlement des loups la fit se crisper encore davantage. Elle espérait qu'ils n'allaient pas avoir à faire en plus à des animaux sauvages.

Il y avait aussi cette fumée. Une énorme proéminence se profilait à l'horizon, d'où s'échappait un nuage gris, presque noir, qui se déversait dans la blancheur épaisse du ciel. Ophélie tendit le bras pour demander à Waban de quoi il s'agissait, mais aucun son ne parvint à sortir de sa gorge aussi contractée que ses autres muscles.

— C'est le volcan... Le Souffle, expliqua-t-il malgré le mutisme de sa partenaire.

Ophélie aurait voulu demander pourquoi ce nom ; elle imagina cette fumée comme une expiration de l'intérieur de la terre. La corde tira pour lui rappeler qu'il fallait avancer.

Le volcan, le cri des loups, étaient les seuls éléments s'extrayant de cette albe aridité.

Après ce qui sembla une éternité, ils arrivèrent sans encombre tout près d'un amoncellement de glace, devant lequel Waban fit halte. L'écharpe, dont les franges s'étaient transformées en stalactites, en profita pour absorber ce qu'elle pouvait d'humidité sur les lunettes d'Ophélie. Celle-ci put ainsi se rendre compte que ce n'était pas un tas de glace, mais une maison enfouie sous la neige, dotée d'une ouverture abritée par un auvent qui perçait la couche épaisse et blanche.

Sans un mot, Waban serra la main d'Ophélie pour la faire entrer sous le porche. Là, le plomborien tira sur une chaîne sur laquelle pendait une cloche qui sonna leur arrivée. Après un instant semblant trop long pour qu'Ophélie puisse rester en vie sous ce froid, on leur ouvrit enfin.

La jeune fille qui les laissa entrer avait un style vestimentaire semblable à celui de son ami circassien. L'endroit n'était pas haut, et Waban semblait presque obligé de courber le dos pour rester debout.

Ophélie s'aperçut qu'ils n'étaient pas seulement trois dans la pièce, dont les murs étaient recouverts de bois.

Son ami prit dans ses bras, chacun leur tour, tous les membres de la maisonnée, en terminant par ce qui semblait être le père de famille.

— Waban ! Tu daignes nous rendre visite !

— Désolé Tyee, je suis revenu depuis peu. Et je repars dans quelques jours.

Ils passèrent un moment en compagnie de la famille adoptive de Waban, dans ce tout petit endroit chauffé par un feu de cheminée. Ils mangèrent le petit déjeuner en leur compagnie, et Ophélie apprit beaucoup sur les coutumes à l'Extérieur. Elle admirait ces gens qui avaient préféré une vie simple et glaciale, à celle hypocrite de la cour, molletonnée dans la chaleur artificielle et les sourires d'emprunt.

Ophélie n'aurait voulu ne jamais plus sortir d'ici, tellement cette chaleur lui semblait vitale. Mais l'heure tournait.

— Cette jeune fille voudrait se rendre à la chapelle au Miroir.

La mère de famille regarda son fils adoptif dans les yeux. Une once d'inquiétude y passa.

— Pourquoi aller les voir ? Ils ne t'apporteront rien de bon. Ils n'en auront qu'après ton argent.

— Ne t'inquiète pas, Ama, c'est juste une petite expédition de curiosité.

Après une discussion houleuse, où Waban dut déborder d'énergie et d'astuces pour que ses parents adoptifs acceptent sa demande, on les conduisit dans le garage de la maison. Et c'était reparti pour le froid radioactif. Ophélie appréhendait tant la suite du voyage.

Alors, on prépara les chiens, on les sangla au traîneau, quelques planches de bois sur lesquelles Ophélie fut invitée à monter aux côtés de Waban. Elle eut une pensée pour son premier voyage avec Thorn, jusqu'à la Citacielle. Mais l'embarcation sur laquelle elle venait de monter était plus rustique, ne volerait sans doute pas, et la taille des chiens n'avaient rien de disproportionnée.

Durant leur périple, Ophélie se concentra sur le volcan noir, au loin, contrastant avec le paysage aride de glace et de givre, pour tenter d'oublier ce que son corps endurait. Avec le vent engendré par l'allure du traîneau, elle était pétrifiée et sentait ses lèvres se fendre de crevasses. C'est à ce moment précis qu'elle se demanda si elle allait survivre. Elle aurait aimé plonger dans le volcan. Quitte à périr, autant que ce soit de chaud.

Ils passèrent devant quelques monticules de neiges et de bois, qui, elle le savait maintenant, étaient des maisons. Quelques signes de végétations firent leur apparition. Une tache verte au milieu de la monotonie uniforme du paysage. Puis les taches se multiplièrent, jusqu'à ce qu'ils s'engouffrent dans une forêt de grands pins. Immenses pins, dont la cime semblait aller titiller les nuages bas et emplis de neige.

Et, si cela fut possible, la température baissa encore d'un cran, tandis que le traîneau se faufilait entre les arbres. Le soleil perçait à peine les branches épaisses des conifères.

Ils finirent par ralentir à la vue d'une clairière, et s'arrêtèrent devant ce qui ressemblait à une chapelle de glace. 

*****

Hello à tou·te·s ^^

Vous avez la forme ? Perso je rêve d'un petit thé, ne serait-ce qu'en terrasse 😭

Ophélie fait donc connaissance avec l'autre partie de Plombor... La pauvre, je n'aimerais pas être à sa place, ça caille sévère 😆

Je vous dis à la semaine prochaine pour la suite 😉

xoxo

Les Oubliés de la BrumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant