Alisée retrouva bientôt suffisamment de contrôle sur elle-même pour se fendre en une révérence un peu raide. Sa belle-mère et ses petites soeurs se seraient sûrement gentiment moquées d'elle pour un tel manque de grâce. Le roi lui-même éclata de rire.
— Je vous en prie, vous imaginez si tout le monde dans ce palais devait se courber chaque fois que je croise leur route ? On se retrouverait avec une armée de bossus...
Sceptique, la jeune vampire se risqua à lever la tête vers lui. Il avait l'air plus amusé que moqueur, et elle ne sut considérer si cela était rassurant ou non. Elle porta brièvement son regard au niveau de son coeur, où sa veste noire était encore déchirée. Cette fois, une rose aussi blanche que sa chemise en dépassait.
— Je vous présente mes excuses, Votre Majesté, déclara-t-elle d'une voix mesurée.
Elle faisait appel aux lointains souvenirs de son enfance, lorsque sa belle-mère lui apprenait la manière dont s'adresser aux gens importants. Ne jamais dire "veuillez m'excuser", ni "pardonnez-moi" et encore moins "je m'excuse". Et se passer de rajouter plus de paroles que nécessaire.
Cependant, le roi semblait d'humeur bavarde.
— Beatricia est terrifiante, n'est-ce pas ? fit-il en portant son regard azur vers la piste de danse.
La cheffe de clan y dansait joyeusement avec Branwell, éclatant de rire de temps à autre. Les autres danseurs s'écartaient légèrement sur leur passage, sans que l'on ne puisse déceler si c'était plus par crainte que par respect.
Comme Alisée ne savait quoi répondre à la remarque du monarque, elle se tut. Il allait bien finir par s'éloigner, non ? D'ailleurs, pourquoi l'approchait-il ? Elle maintint tous ses sens en alerte, guettant le moment où le mauvais coup allait lui tomber dessus.
— Vous n'avez pourtant pas eu peur de la défier, reprit-il en baissant les yeux vers elle.
La vampire étant déjà grande, il devait l'être encore plus pour réussir à la dépasser d'une tête.
— Avez-vous perdu votre langue ? demanda-t-il avec sérieux comme elle demeurait muette.
Elle décida donc de répondre honnêtement.
— Je ne sais quel genre de réponse vous attendez. Je doute que le récit de stupides prises de bec entre dames puisse vous divertir.
— Mais détrompez-vous ! Je suis comme ces vieilles femmes qui aiment commérer sur tout le monde. Les ragots sont toujours un excellent divertissement.
En matière de vieillesse, il était sans doute le mieux placé pour commenter le sujet... En tant que tout premier vampire apparu au monde, il devait certainement être âgé de plusieurs millénaires. Du moins, à ce qui se racontait. Personne ne connaissait son véritable âge, même si selon certaines prétendues recherches, "plus de deux mille ans" semblait le plus probable.
Il paraissait attendre qu'Alisée dise quelque chose, mais elle ne lui accorda pas cette faveur. Mieux valait qu'il ne connaisse pas le fin fond de sa pensée quant à ses goûts pour les bruits de couloir. Elle brûlait d'envie de lui rétorquer qu'en tant que roi, il ferait mieux de s'intéresser à la misère qui rongeait Mendoza, la capitale de son royaume. Car plus elle découvrait le château et ses habitants, plus elle comprenait pourquoi tout ne lui semblait "pas si terrible que ça".
Toutes ces parures étincelantes, ces riches décorations hors de prix, cette étourdissante et envoûtante musique... En réalité, elle ne se trouvait pas sur la véritable Terre des Vampires, mais au milieu d'une bulle où des rêveurs — dans le pire sens où l'on pouvait employer ce terme — s'amusaient à faire comme si seul le néant existait au-dehors.
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Sang de Rose [TERMINÉ]
FantasyAlisée a beau être une vampire âgée de plus d'un siècle, elle n'a jamais mis les pieds sur la terre de son espèce. De cet endroit maudit, elle ne connaît que les mille rumeurs qui circulent, en particulier celles concernant son cruel et mystérieux s...