XVI

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La grossesse avançait et Anna devait commencer à réfléchir aux choses qu'elle devait préparer la naissance. Elle s'inscrit à des cours d'accouchements naturels à la demande de Thomas et dû entrer dans des boutiques de puériculture pleines d'objets dont l'utilité lui échappait. En regardant la composition des rayons elle essaya de se rappeler si elle n'avait pas raté quelque chose dans son parcours scolaire. Elle avait l'impression qu'il fallait passer un diplôme d'aptitude à la maternité. Tous les clients de ces magasins, essentiellement des femmes au ventre rond, paraissaient connaitre parfaitement le manuel d'utilisation des objets posés en rayon. Ces magasins, étaient une source d'angoisse extrême pour Anna, tout ce qu'elle détestait était là, des femmes enceintes essoufflées, des bébés qui hurlent, des jeunes enfants accompagnant leur maman qui attend le petit frère qui courent partout, tombent et pleurent comme si on leur avait arraché un ongle.
Un jour qu'Anna était à la caisse pour acheter des tas de choses de puériculture, sans savoir exactement ce à quoi ça pourrait lui servir, elle observa la femme devant elle, dans la poussette de cette femme gazouillait un bébé dont elle n'arrivait pas à estimer l'âge. Ce bébé la regarda intrigué, qui était cette personne inconnue au bataillon qui le regardait avec étonnement ? Comme la réponse ne s'imposa pas à cet humain miniature, ce dernier ouvrit sa petite bouche et la tordit dans ce qui devait être un sourire et émis un drôle de son qui semblait s'apparenter à un rire humain. Anna était ahurie, les bébés pouvaient rirent ! Bien sûr, elle en avait déjà vu, mais bizarrement elle croyait que seuls les bébés des films et des publicités pour les couches pouvaient rire et sourire. Là, juste devant elle, il y avait un vrai bébé qui riait. Elle rentra chez elle et voulu faire part à Thomas de sa découverte, mais se rendit rapidement compte que son enthousiasme était quelque peu étrange, et décida de se taire. Le mois de mai accompagné de ses jours fériés arriva pour le plus grand bonheur de Thomas, il allait enfin pouvoir profiter de la grossesse d'Anna et prévoyait déjà de faire des travaux approfondis dans la chambre de bébé. La question de la couleur des murs arriva et Thomas hésitait entre bleu et blanc, Anna trancha et ce fut vert d'eau. Le mur ouest de la chambre serait quant à lui recouvert d'un papier peint aux tons vert, jaune, et rouge. Thomas, quoi que sceptique quant à la couleur de la chambre, ne dit rien pour ne pas froisser sa femme assez irritable depuis quelques temps. Roxanne rendit visite aux futurs jeunes parents pendant le pont de l'Ascension. Les deux amies passèrent beaucoup de temps ensemble. Elles étaient heureuses de se retrouver. Roxanne essayait toujours de faire parler son amie à propos de son mariage, elle ne lâchait pas l'affaire, Anna avait été prévenue. Une après-midi, les deux jeunes femmes se promenaient dans la campagne qui explosait de vie. Roxanne parlait avec animation des progrès d'un jeune qu'elle suivait quand Anna l'arrêta net. Elle pleurait. Elles s'assirent sur le bord du chemin de terre et Anna déballa tout ce qu'elle avait sur le cœur depuis des mois. Elle était terrifiée, se détestait, avait honte, se sentait coupable et illégitime. Elle avait peur de l'avenir, comment allait-elle faire pour aimer le bébé d'un homme pour qui elle ne ressentait que de l'amitié ? Comment allait-elle pouvoir rester avec Thomas toute sa vie alors que onze mois de mariage étaient une épreuve ? L'arrivée d'un bébé anéantissait toutes possibilités de divorce, elle refusait catégoriquement l'idée que l'enfant grandisse entre deux foyers, elle voyait au lycée les conséquences psychologiques désastreuses des familles divisées sur les enfants. Elle se détestait, ne savait pas comment elle avait pu mentir et se mentir à ce point. Elle détestait ce qu'elle faisait à Thomas pour qui son affection était sincère. Comment était-elle capable de mentir à tout le monde ? Elle avait tellement honte de son comportement mensonger. La culpabilité la rongeait, elle se croyait responsable de tous les maux. Des milliers de couples amoureux et sincères avaient d'énormes difficultés à avoir un enfant et elle était enceinte d'un enfant qu'elle n'avait même pas voulu. Elle se sentait illégitime dans son rôle d'épouse et future mère.
Anna avait exprimé toutes ses craintes et ses réflexions dans un long monologue. Quand elle eut terminé, Roxanne posa sur elle un regard à la fois plein de reproches et de compassion. Elle prit son amie dans ses bras et la rassura avec douceur. Lentement les larmes d'Anna s'arrêtèrent de couler et sa respiration reprit un rythme normal. Roxanne lui disait des choses avec fermeté. Tous ces mots dits avec dureté résonnaient comme une douce musique aux oreilles d'Anna. Entendre ces choses lui faisait du bien, elle trouvait enfin quelqu'un en qui elle pouvait avoir confiance et qui pouvait lui dire la vérité sans avoir peur de perdre son amitié. Les deux jeunes femmes finirent par se lever et continuèrent leur promenade. Elles ne parlèrent plus jamais ce dialogue sur le bord du chemin.

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