Les Grillons

IX

                 Les journées au lycée se ressemblaient toutes plus ou moins. Elle avait beau adorer son métier l'ambiance était quelque fois si nocive qu'elle rentrait chez elle en pleurant. Ces collègues passaient leur temps de pause à critiquer certains élèves ou parents d'élève. Ils étaient toujours en train de médirent sur les uns et les autres. Les relations étaient fondées sur l'hypocrisie et le politiquement correct. La sincérité et la délicatesse n'avaient visiblement pas leur place dans la salle des profs. Un jour elle fut convoquée dans le bureau du proviseur qui le reprocha d'avoir tenté d'arrêter une dispute entre des élèves sous prétexte que ce n'était pas son rôle mais celui des surveillants de la cour de récréation. Le soir en rentrant chez elle, Anna s'affala sur le canapé du salon et soupira. Quelle journée épuisante ! Elle ne se sentait plus la force de lutter contre quoi que ce soit ce soir-là. Elle entendit Thomas rentrer du travail, elle soupira de nouveau. Pourquoi rentrait-il toujours si tôt ? Elle n'avait plus un seul moment à elle. Elle ne réclamait qu'une heure ou deux, seule ou elle pourrait faire ce qu'elle veut sans être surveillée en permanence. Deux heures où elle pourrait lire, écouter de la musique, sa musique, celle qui représente ce qu'elle est. Deux heures ou elle pourrait parler avec qui elle veut, voir les films qu'elle veut. Deux heures ou elle pourrait être Anne-Adèle, la vraie Anne-Adèle. Elle aimait beaucoup Thomas, mais c'était son meilleur ami, rien de plus. Depuis qu'ils étaient mariés elle avait l'impression d'être observée, jugée en permanence. Elle se raisonnait en se disant que tout cela n'était que le fruit de son imagination, ce qui était vrai par ailleurs, mais elle n'arrivait pas à se retirer cette idée de la tête. Elle supprimait constamment ses historiques internet, elle fermait toujours son bureau à clefs persuadée que Thomas irait fouiller dans ses affaires. Ce dernier lui faisait confiance, jamais il n'aurait eu l'idée de fouiller, ce n'était pas dans son caractère. Quand il avait donné sa confiance, il était difficile de la lui faire reprendre. Ce n'était pas un homme jaloux, il savait que son épouse n'irait jamais voir un autre homme. Il ne se trompait pas... Il était bon, fidèle et sincère dans ses sentiments à l'égard d'Anna. Il aurait donné sa vie pour elle s'il avait fallu. Il voyait bien qu'elle n'était pas très heureuse en général, mais il mettait cela sur le compte de la mauvaise ambiance qui régnait au travail, sur son agrégation et sur leurs essais non-fructueux pour avoir un bébé. Il essayait de la soutenir de son mieux, de ne pas lui mettre trop de pression. Il parlait régulièrement avec sa sœur afin d'avoir des informations sur le fonctionnement féminin qu'il avait quelque difficultés à comprendre.