Les Grillons

XXXII

              Anna se réveilla seule dans le grand lit. Seule, elle était seule, tellement seule. Thomas était mort depuis un mois et il lui manquait terriblement. Son mari ne lui manquait pas, c'était son meilleur ami, le père de sa fille qui lui manquait. Quand elle voyait Joséphine elle ne pouvait s'empêcher de le voir rire et jouer avec elle. Elle pouvait encore entendre sa voix grave et mélodieuse chanter une berceuse quand cette petite fille se réveillait la nuit et ne voulait pas se rendormir. Son cœur se fendait quand elle voyait Joséphine chercher son père du regard quand elle entendait une voix d'homme. A elle aussi il lui manquait.
Elle avait pris une année sabbatique pour se concentrer sur elle, pour profiter de sa fille. Les journées se ressemblaient toutes. Elle se levait tôt, s'occupait de Joséphine, faisait le ménage pendant les siestes. Une fois par semaine elle allait chez ses beaux-parents afin qu'ils puissent voir leur petite fille. Elle passait quelques heures chez eux à parler du bébé et de Thomas. En général ils finissaient tous par pleurer dans les bras les uns des autres.
Les semaines passèrent, Joséphine fêta son premier anniversaire entourée de sa mère, de son parrain Paul et de sa marraine Roxanne. Anna faisait bonne figure. La solitude lui pesait. Elle ne pouvait plus supporter d'être seule dans une grande maison avec un bébé. Elle en venait même à faire les courses trois fois par semaine juste pour voir des gens. Noël arriva et elle décida de le fêter chez elle avec des amis. Elle avait invité Paul et Laure avec leurs jumeaux, Adam qui venait de se faire baptiser et dont la famille musulmane ne voulait plus entendre parler, et Roxanne. Anna profita d'un repas ou les enfants dormaient pour sortir du placard auprès de ses amis. Ils s'empressèrent tous de lui assurer leur amitié. Elle savait que ce qu'ils disaient était sincère. Elle les remercia pour leur ouverture d'esprit et eu les larmes aux yeux quand Adam lui présenta ses excuses pour le cas où il lui aurait fait du mal. Cet épisode de sortie de placard terminé elle pu s'adonner toute entière aux joies des fêtes de fin d'année.
Le soir de Noël tout le monde était heureux. La maison était agréable, confortable, bien chauffée et décorée avec goût. L'odeur du sapin et du feu de cheminée emplissait le salon d'une délicieuse odeur boisée. Le crépitement des bûches et la chaleur qu'elles dégageaient donnaient envie de rester au fond d'un fauteuil moelleux toute la journée à discuter en mangeant des mandarines et des petits chocolats. Les trois bébés commençaient à se mettre debout et à esquisser quelques pas maladroits. Les adultes regardaient attendris ces trois jeunes enfants froncer les sourcils quand ils ne comprenaient pas le principe de la marche bipède et se retrouvaient sur les fesses. Ces trois petites têtes d'enfants regardaient alors leurs parents l'air réjoui et se relevaient afin de recommencer indéfiniment cette opération jusqu'à ce qu'ils comprennent qu'il faut baisser un pied quand on remonte l'autre. Le 24 au soir Anna fut accablée par une vague de tristesse quand son téléphone lui rappela qu'un an plutôt Thomas et elle fêtaient leur premier Noël avec Joséphine. Évidemment elle était soulagée de ne plus à supporter une vie de couple mais son meilleur ami lui manquait tellement fort. Elle se sentait seule au milieu de la foule, cette foule qui l'oppressait qui attendait d'elle qu'elle pleure l'amour de sa vie alors qu'elle pleurait son meilleur ami. Tout lui était soudain insupportable, le bruit du four, l'odeur de la cheminée, les rires de ses amis, les hurlements des bébés. Excédée elle sorti violemment de la maison sans même prendre le temps d'attraper un manteau. Il faisait nuit depuis déjà quelques heures et le diner n'était pas loin. Elle marcha sans but dans le jardin entouré par la nuit. Elle s'assit sur le banc du fond du jardin. La pierre était glacée mais elle ne sentait rien. A vrai dire elle ne percevait rien d'extérieur, ni le froid ni le bruit. Roxanne s'assit à son côté en lui tendant son manteau. Comme Anna ne réagit pas elle le posa sur ses genoux.
- Elle te manque n'est-ce pas ?
Anne ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Roxanne se tu et colla son épaule contre celle de son amie.
- Epouse-le.
-Je te demande pardon ?
-Adam. Epouse-le.
- Mais... comment sais-tu que... lui et moi...
- A mon mariage, à la petite semaine entre amis peu après, au baptême de Joséphine... Rox, je vois beaucoup plus de choses que tu ne le penses. J'ai tout de suite su. Vos regards, votre façon d'être en présence ou non de l'autre, la façon que vous avez de vous parler. Petit à petit c'est devenu une évidence criante.
- Mais...
- Epouse-le te dis-je ! Il est fait pour toi et tu es faite pour lui. Ne discute pas, ça ne servirai à rien. Maintenant laisse-moi seule s'il te plait.
Roxanne se leva et se dirigea vers la maison toute étonnée de ce que venait de lui dire Anna. Un sourire éclatant se dessina rapidement sur ses lèvres, sourire qui ne la quitta guère tout le restant de sa vie.
Allongée sur l'herbe froide Anna ferma les yeux et laissa son âme vagabonder dans ses souvenirs. Alors elle se retrouva quelques mois plus tôt au même endroit. Allongées sur l'herbe Céline et elle regardaient le ciel nocturne paré de ses milliers de diamants. Ce moment hors du temps où elles venaient de se déclarer. Cette sensation toute nouvelle de retrouver l'amour dans le regard de la personne qu'on aime. Ces frissons qui parcours le corps rien qu'en effleurant l'être aimé. Les battements du cœur, le pourpre qui monte les joues, le souffle cours. Anna se laissa emportée par tous ces souvenirs et senti comme un nuage de coton l'emmener loin, très loin du monde et de son bruit. Elle ouvrit doucement les yeux et tourna la tête sur le côté. Céline était là, allongée dans l'herbe à côté d'elle, un sourire éclatant illuminait son visage. Silencieuses les deux femmes se levèrent. Anna ne pu s'empêcher de palper les bras, le visage de Céline pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas. Elle ne rêvait pas.
- Joyeux Noël mon amour.
- Qu'est-ce que tu fais là ? Comment es-tu arrivée ?
- Roxanne m'a appelée en me demandant de venir ici le soir de Noël. Je suis là.
- Tu es là... Tu ne vas plus repartir ? Promets-moi...
- Qui a dit que je partais ? Je ne ferai jamais plus la bêtise de te laisser, jamais.
Anna l'embrassa.

FIN

Chères lectrices, chers lecteurs, cette histoire est maintenant terminée. J'espère qu'elle vous aura plu et que vous avez passé un bon moment avec tous ces personnages ! N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé ! Alice