Les Grillons

XI

«- Je ne savais pas que tes talents de comédienne étaient si grands. Roxanne venait d'entrer dans la cuisine dans laquelle Anna préparait seule un plateau d'apéritifs.
- Que veux-tu dire ?
- Simplement que tu joues bien la comédie avec ton mari, tout le monde y croit. Sauf moi !
- Arrête ! Tais-toi, il ne faudrait pas que quelqu'un t'entende dire ces bêtises.
- Tu vois que j'ai raison ! Ecoute, je te connais par cœur, je sens bien que quelque chose ne va pas.
- Pas maintenant. Tiens, aide-moi à éplucher les carottes pour l'apéritif au lieu de dire des bêtises.
- Je ne te lâcherai pas Anna, tu m'auras tout dis d'ici mon départ. »
Les deux jeunes femmes finirent de préparer les apéritifs en silence, du salon sortaient des éclats de voix joyeux. Anna et Roxanne entrèrent dans le salon les bras chargés de gâteaux apéritifs et autres douceurs salées, accueillies par les vivats de leurs amis. La soirée se passa dans la bonne humeur, ils dansèrent, burent un peu. L'ambiance était à la fête, Louis fit des blagues, encore plus nulles qu'à l'accoutumée mais les rires fusaient. Durant l'espace de quelques heures Anna fut heureuse, elle était entourée de ses meilleurs amis dont un était, accessoirement, son mari. Elle l'avait épousé parce qu'elle le considérait comme son meilleur ami. Elle aimait sa présence calme et rassurante. Thomas était un homme adorable, toujours prêt à rendre service aux autres. Il tenait ses engagements avec beaucoup de sérieux et d'application. Quand il aimait une personne c'était profondément, il ferait n'importe quoi pour tirer un ami ou un membre de sa famille d'une situation difficile. Sa plus grande qualité, selon Anna, était sa fidélité, il était fidèle à lui-même en toutes circonstances, tout ce qu'il faisait, il le faisait dans le respect le plus total de l'autre. Son aversion pour l'irrespect, la violence et l'injustice faisait l'admiration d'Anna.
Ce soir-là, dans son lit, Anne-Adèle était confuse. Tout se mélangeait dans son esprit. Que ressentait-elle exactement pour Thomas ? Du dégout ? De l'amitié ? De l'amour ? De la haine ? De l'indifférence ? Elle ne savait plus, elle était perdue. Depuis quelques jours elle l'observait du coin de l'œil. Plus elle le regardait plus elle devenait confuse. Il était si gentil, si galant. Il ne jugeait jamais personne ou du moins il ne le laissait pas transparaitre. Son humour fin, souvent incompris, la faisait rire aux larmes, ce que ne comprenait pas le commun des mortels, ses amis. Son intérêt pour les mathématiques restait un profond mystère pour Anna mais elle aimait quand il lui racontait avec passion les variations du court de la monnaie qui le passionnait et les calculs compliqués qu'il effectuait chaque jour. Physiquement Thomas était grand, blond, en fait on ne savait pas trop, un jour il était complètement blond et le lendemain il était clairement châtain. Cette sorte d'indécision capillaire plaisait à Anna qui trouvait cela adorable. Ses yeux verts étaient d'une rare beauté, ils pouvaient être graves et sérieux et la minute d'après rieurs et plein d'entrain. Son sourire montrait de belles dents blanches et dévoilait plus en profondeur la belle mâchoire carrée qui lui donnait un air déterminé. Anna ne pouvait pas le nier, son mari était très beau. Malgré cette constatation, elle ne comprenait pas pourquoi la simple idée de se retrouver dans ses bras la dégoutait. Elle devrait aimer cela, mais quand il la prenait dans ses bras elle ressentait, au mieux, de la gêne, au pire, du dégout. L'intimité avec lui était toujours une épreuve qu'elle s'efforçait de supporter en faisant bonne figure.