Depuis le début de leur conversation les mains des deux femmes s'entrelaçaient. Céline était adossée contre la voiture et Anna était juste devant elle, tout proche. Leurs mains s'entrelaçaient, se baladaient sur les bras, la taille, les hanches de l'autre par de petits mouvements doux et sensuels. Anna s'approcha un peu plus et embrassa furtivement le coin des lèvres de Céline. Cette dernière plongea son regard dans la profondeur bleue de celui d'Anna. Elle lui rendit son baisé. Le temps s'était arrêté, les deux femmes ne sentaient plus la brise chaude sur leurs bras nus, elles n'entendaient plus le bruit du vent dans les feuilles, tout leur était devenu étranger et rien ne les affectait. La douleur, la tristesse, la culpabilité s'étaient évaporés d'un coup. Elles avaient l'impression de flotter dans un nuage, dans un tourbillon de sentiments si doux et puissants à la fois. Elles redescendirent doucement de ce petit nuage de bonheur dans lequel elles étaient depuis ce qui leur semblait une éternité. Céline monta dans la voiture et parti sans un regard, une larme coula sur sa joue gauche, une larme orpheline. Anna regarda la voiture s'éloigner dans un nuage de poussière, une larme coula sur sa joue droite, une larme orpheline. Elle tourna le dos et s'en retourna dans la maison un trou béant dans la poitrine.
Dans son bureau Thomas s'assit sur son fauteuil de cuire. Un retira ses lunettes qu'il posa délicatement sur le velours de son secrétaire hérité de son grand-père. Il laissa son regard dans le vide hanté parce qu'il venait de voir. Il plongea la tête dans ses mains et soupira longuement. Une douleur aigüe venait de s'allumer dans son abdomen, une brulure si vive et intense qu'il ne pouvait supporter. Le baiser entre sa femme et Céline tournait et retournait dans son esprit. Il avait vu toute la scène entre les deux femmes de la fenêtre de son bureau. Il avait vu. Il avait vu tous ces gestes échangés, toutes ces caresses, tous ces regards... Et puis ce baiser ! Il ne se souvenait pas en avoir vu un aussi délicat et sincère que celui là. «Elle l'aime vraiment, ce n'est donc pas une lubie, c'est vrai. » Il n'avait pas pu entendre ce qu'elles avaient dit mais leur attitude suffisait à Thomas pour comprendre leur inquiétude et leur tristesse de se quitter. Assis à son bureau il resta là, immobile, le regard vide, l'esprit et le cœur hanté par ce baiser. Soudain comme pris par une fièvre intense il prit une feuille de papier à lettre et commença à écrire frénétiquement tout ce qu'il venait de voir. Il ne s'embarrassait pas de majuscules, de points, de conjugaison... Tout cela lui était superflu. Il écrivait. Coucher les mots sur le papier lui faisait prendre conscience de la réalité de la situation. Anna est lesbienne, il est mariée avec elle, ils ont un enfant d'à peine quelque mois. C'était insupportable. Il se leva brusquement de son fauteuil, pris ses clefs, monta dans sa voiture et parti sans demander son reste. Anna resta là regardant son mari partir, les bras ballants devant le portail en fer forgé, dans le nuage de poussière soulevé par la voiture. Que pouvait-elle faire ? Elle se retrouvait seule avec son bébé dans cette grande maison. L'amour de sa vie venait de partir pour un temps indéfini, son mari venait de l'abandonner sans dire mot et elle ne savait quand il reviendrait, s'il reviendrait. Elle s'en retourna dans la maison où hurlait Joséphine réveillée par le bruit de la voiture.
La vie repris. Anna ne pouvait se laisser abattre. Elle devait tenir bon pour Joséphine. Céline lui manquait terriblement. Elle rêvait d'elle la nuit, elle voulait la sentir, la toucher, la voir, l'entendre et lui parler. Elle voulait ressentir encore les frissons qui l'emplissaient quand elle la touchait. Quand elle fermait les yeux elle pouvait la voir sourire, rire, danser, vivre, elle la revoyait se mordiller la lèvre inférieure quand elle la regardait. Quand elle passait devant la chambre qu'avait occupée Céline, elle s'arrêtait et restait là sans bouger sur le pas de la porte. Elle n'entrait pas, elle ne pouvait pas, elle se contentait de se repasser en boucle les moments passés ensemble. Ces moments hors du temps, dans un monde parallèle, un monde sans douleur, sans problèmes, sans haine, sans peurs. Dans ces moments là, le vide laissé par son absence lui déchirait le cœur. Alors elle continuait sa journée sans trop penser à elle.

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Les Grillons
RomanceAnna, jeune femme mariée à un homme presque parfait, lutte contre elle même depuis plusieurs années. Elle se retrouve dans une situation qui semble inextricable dans laquelle elle doit choisir entre respecter ses vœux de mariage et l'homme qui l'aim...