Les Grillons

XXIV

Elle était là, à seulement quelques mètres d'elle. Anna sentit battre son cœur encore plus fort que d'habitude. Que faisait-elle là ? Ne devait-elle pas être en Irlande comme elle l'avait dit ? Pourquoi avait-elle débarqué sans prévenir personne ? Le savait-elle seulement elle-même ? Toutes ces questions se bousculaient dans la tête d'Anna qui sentit une larme couler sur sa joue droite. Elle n'était plus orpheline. Une larme coulait sur la joue gauche de Céline. Elles s'avançaient l'une vers l'autre sans dire un mot. Elles se regardèrent en silence, un sourire se dessina lentement sur les lèvres roses d'Anna qui détourna la tête. Elles se mirent à marcher dans le jardin embaumé par les dizaines de variété de roses et autres plantes. Une odeur enivrante s'empara des poumons des deux jeunes femmes qui marchaient côtes à côtes en silence. Elles s'assirent sur un banc au fond du jardin, dissimulé par un bosquet de rosiers rouges et blancs. Elles fixaient le vide, se contentant se sentir la présence de l'autre.
«Pardon. » le regard de Céline était plein de tristesse, de honte et de sincères remords.
Anna regarda le visage de son amie avec attention. « Je t'ai déjà tout pardonné. » Sa voix était douce et rassurante. Céline approcha son visage de celui d'Anna. Elle pouvait sentir sur ses lèvres le souffle court et chaud de son amie aux yeux d'azur. Le chant des grillons s'éleva d'un coup, le soleil était passé de l'autre côté, comme une ode à la nuit ce chant gagnait en intensité. L'odeur entêtante des roses enveloppait les deux jeunes femmes. Céline s'approcha encore et pu entendre le cœur d'Anna qui battait à tout rompre. Elle posa sa main sur ce cœur qui menaçait de lâcher et mis celle d'Anna sur sa poitrine. Ces cœurs brûlants battirent à l'unisson et ces deux âmes se rejoignirent ne faisant plus qu'un. Céline ouvrit les yeux et observa chaque détail du visage de celle qu'elle venait d'embrasser. Deux petites flammes dansaient dans les yeux d'Anna qui s'approcha de Céline et embrassa sa joue avec délicatesse. « C'est tout ce à quoi j'ai droit ? Un baiser d'amie ? » Anna sourit de toutes ses dents blanches semblables à des perles fines et embrassa les lèvres de celle qui faisait battre son cœur de femme. « C'est mieux comme ça ? » Ça devait l'être, Céline prit le visage d'Anna dans ses mains et l'embrassa avec douceur. Les grillons chantaient la nature qui s'endort, la vie, l'amour, la mort.
Anna tourna la tête et regarda Céline, couchée dans l'herbe à ses côtés fixant le ciel qui avait arboré ses plus belles rivières de diamants un brin d'herbe entre les dents. Elle souriait de bien-être. « Je t'aime. Je t'aime depuis toujours. Je t'aimerais tant que les grillons chanteront les nuits d'été... »Anna prit sa main et l'aida à se lever. Elle souriait comme elle n'avait jamais souri auparavant, les flammes qui dansaient dans ses yeux étaient différentes, elles étaient plus vives, plus fortes. Les deux femmes s'en retournèrent dans la maison et Anna fit un diner rapide qu'elles engloutirent, affamées. Elle l'aida à monter ses affaires dans la chambre d'amis mais ne put en sortir.