Un matin de la fin du mois de septembre alors qu'Anna triait les photos prises depuis le début de l'été elle pressa l'épaule droite de Thomas assit à côté d'elle, qui sauta dans la voiture et l'emmena à la maternité en quatrième vitesse. Le bébé avait décidé de rencontrer ses parents un peu plus tôt que prévu. Anna était zen. Elle ne craignait rien. Une météorite aurait pu tomber sur la terre sans qu'elle ne fronce les sourcils. A la maternité, elle resta insensible à la vue de la grosse aiguille de la péridurale et écoutait avec attention les cris des femmes qui accouchaient naturellement. Une sage-femme entra, examina l'avancée du travail et jugea qu'il était temps pour elle de passer en salle d'accouchement. Thomas était stressé comme il ne l'avait jamais était auparavant. Anna lui donna des sudokus à résoudre pour qu'il se détende un peu et arrête de se ronger les ongles et de l'exaspérer avec ce crissement insupportable.
« Poussez madame Laverdière ! » Elle poussait, déconnectée du réel. « Allez madame, une dernière poussée et votre bébé sera dans vos bras ! » Elle poussa. Quelque chose sorti d'elle et cria, l'air été rentré dans ses poumons. Elle tourna la tête vers Thomas qui pleurait d'émotion et la félicitait. Il alla regarder le bébé qui subissait les premiers examens médicaux nécessaires. Il revint vers sa femme et lui raconta à quel point c'était un beau bébé. Les sages-femmes posèrent le nouveau-né sur la poitrine d'Anna qui le regarda avec attention. Son petit visage était tout rouge et fripé, ses mains minuscules se tordaient dans tous les sens et ses grands yeux regardaient avec ahurissement ce qui se passait autour. « Tiens, je ne voyais pas l'Extérieur comme ça. C'est beaucoup moins bucolique que ce que je pensais. Qui est cet homme qui me regarde en pleurant avec un air idiot ? Oh, la femme sur qui je suis lève les yeux au ciel et soupire. Aaaaah, ça y est, j'ai compris, l'homme idiot c'est Papa et la femme épuisée par Papa, c'est Maman. »
Une fois rentrée dans la chambre, Anna s'endormit épuisée. Quand elle se réveilla et regarda son bébé qui dormait à côté d'elle. Le petit pyjama était mal boutonné, Thomas avait décidément une grande marge de progrès concernant l'habillage d'autrui. Elle prit son livre sur la table de chevet et commença à lire. C'était sa tragédie préférée, Cinna de Corneille. Soudain, elle entendit un cri, ça devait être un pleur de nouveau-né. Elle tourna la tête et vit le bébé, tout rouge, qui s'époumonait. Elle prit l'enfant dans ses bras, le berça et ne sachant que faire, le posa sur ses genoux relevés et recommença à lire.
« Au milieu toutefois d'une fureur si juste,
J'aime encor plus Cinna que je ne hais Auguste,
Et je sens refroidir ce bouillant mouvement
Quand il faut pour le suivre exposer mon amant. »
« Tu vois Joséphine, dans ce vers-là, le mot ''encore'' a perdu son ''e'' habituel. Ce n'est pas une faute, c'est fait exprès par l'auteur, Pierre Corneille, tu te rappelles que je t'en avais déjà parlé ? Eh bien l'auteur a enlevé ce ''e'' qui ajouterait une syllabe en trop à l'alexandrin. »
A la porte, la sage-femme regardait Anna d'un air ahuri, c'était la première fois en presque trente ans de carrière qu'elle voyait une femme qui lisait du Corneille à son bébé pour le calmer. Cependant cette technique marchait très bien sur la petite Joséphine, qui s'était calmée et écoutait sa mère avec attention. Pendant toute sa grossesse Anna avait lu des pièces de théâtre et des chefs-d'œuvre littéraires à son bébé. La douce musique des alexandrins berçait Joséphine qui retrouvait avec bonheur le rythme posé de la voix de sa mère. Anna continua sa lecture à voix haute et Joséphine s'endormit rapidement. Les sages-femmes et infirmières du service passaient à tour de rôle dans la chambre d'Anna car le bruit avait couru qu'une mère lisait des tragédies classiques à son bébé pour le calmer.
La première visite de Joséphine fut sa grand-mère paternelle dont le cœur fondit en voyant sa nouvelle petite fille. Anna reçut des milliers de compliments de la part de sa belle-mère qui trouvait le prénom ravissant, que ses vêtements étaient si mignons, qu'elle était si belle... Les parents d'Anna arrivèrent deux jours après la naissance. Le père d'Anna regarda sa petite fille sous tous les angles, il la pesa, la mesura, lui regarda dans la bouche plusieurs fois pour vérifier qu'elle était bien normale. Sa mère fut surprise d'apprendre que Joséphine ne s'appelait pas Marie-Joséphine, ni Anne-Joséphine ou encore Louise-Joséphine. Un prénom simple, quelle drôle d'idée. Anna soupira et trouva une excuse bidon pour mettre ses parents à la porte et finit par s'endormir, épuisée. Elle quitta la maternité au bout de quelques jours et rentra chez elle.
Une après-midi qu'Anna faisait la sieste dans le jardin à côté de sa fille, elle se réveilla et regarda le nourrisson qui dormait le poing levé à l'ombre du tilleul. Anna la regarda longuement et finit par se demander si vraiment elle aimait ce petit être si fragile. La réponse ne s'imposa pas comme elle l'espérait. L'anesthésie de l'accouchement avait-elle eut un effet sur ses sentiments ? Serait-elle capable d'aimer sa fille ? Quand est ce que ce déclic dont Thomas lui parlait arriverait ? Etait-ce normal de ne pas fondre d'amour devant son bébé ? Devant toutes ces questions Anna se trouvait complètement désarmée et ne savait que faire.
Thomas s'occupait de sa fille autant qu'il pouvait. Anna dû quand même lui expliquer le principe de fermeture des bodies pour bébé. A part cela, c'est lui qui donnait les bains, préparait les biberons pour la nuit, et il se levait une fois sur deux pendant les nuits entre autres choses.
Leurs amis Paul et Laure vinrent leur rendre visite avec leurs jumeaux, Jules et Emilie. Paul était le parrain de Joséphine. Laure et Anna passèrent beaucoup de temps à parler de leur expérience, Laure donnait lui donna des conseils pour mieux gérer les nuits difficiles et lui répéta dix fois au moins à quel point Thomas était un père exemplaire et qu'elle avait bien de la chance. Les trois bébés, posés sur une couverture dans le salon, se regardaient avec étonnement et semblaient discuter dans un langage accessible aux seuls initiés, c'est-à-dire eux-mêmes. En regardant Laure avec ses bébés, Anna se rendit compte que l'amour d'une mère ne se manifestait pas toujours par des sourires et grimaces ridicules et des ''areuh'' complètements gagas. Forte de cette découverte Anna imagina une nuit que Joséphine avait été enlevée par un fou qui avait terminé son crime en la tuant. Anna se mit à pleurer à chaudes larmes ce qui réveilla Thomas qui dormait à côté d'elle.
«- Tout va bien ma chérie ?
- Oui, ça va. C'est juste que j'aime Joséphine tellement fort !
- Évidement que tu l'aimes ! Tu en doutais ?
- Oui. » Sa voix était penaude, comme si elle avait fait une bêtise. Thomas la prit dans ses bras, embrassa ses cheveux et la consola. Anna arrêta vite de pleurer et se dégagea des bras de son mari, gênée. Le mois d'octobre était déjà bien avancé et les faire parts de la naissance de Joséphine furent envoyés.
Thomas et Anne-Adèle Laverdière ont l'immense joie de vous annoncer la naissance de leur fille
Joséphine Marie Roxanne Pauline
Née le 30 septembre 2018 Baptisée le 12 octobre 2018
Le baptême avait été entièrement organisé par Roxanne, la marraine, à la demande d'Anna pour qui la religion ne voulait plus rien dire. Pendant la cérémonie, Anna regarda les invités qui priaient avec ferveur. Elle fut touchée par cette union de prière qui régnait dans l'église. Son cœur, probablement ramolli par la maternité, se laissa prendre dans ce mouvement de prière et Anna se surpris à fermer les yeux et à adresser un message en faveur de sa fille à ce Dieu auquel elle ne croyait plus. Quand elle sorti de la petite église de village, son âme était apaisée, elle se sentait bien. Le mois de novembre arriva et passa tranquillement rythmé par les rendez-vous médicaux pour Joséphine ou pour sa mère. La belle-mère d'Anna s'installa quelques temps chez sa belle-fille pour l'aider et lui donner quelques conseils ce dont Anna lui était très reconnaissante.
Thomas était en adoration totale pour sa petite princesse. Il raillait Anna qui lisait les grands classiques de la littérature à ce petit bébé, et celle-ci lui répondait du tac au tac qu'elle au moins ne récitait pas les nombres premiers à sa fille pour qu'elle soit bonne en mathématiques plus tard.
Ces petites disputes gentilles rythmaient le quotidien de la famille. Chacun essayait de trouver la preuve qu'il ou elle était le parent préféré de la petite Joséphine qui regardait des parents avec attention en se moquant intérieurement de leur ridicule. L'adolescence s'annonçait chaotique.

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Les Grillons
RomanceAnna, jeune femme mariée à un homme presque parfait, lutte contre elle même depuis plusieurs années. Elle se retrouve dans une situation qui semble inextricable dans laquelle elle doit choisir entre respecter ses vœux de mariage et l'homme qui l'aim...