Instants fugaces

LVIII

J'aide ma mère à débarrasser en écoutant mon père et Kris parler photographie. Autant ses parents ne peuvent pas me voir en peinture, autant les miens ont adopté mon ami comme si c'était leur gamin.

- Ca va mieux entre vous, non ?

- Je sais pas maman. C'est à lui de décider, cette fois, s'il veut qu'on...

Je suis incapable de finir ma phrase, les yeux rivés sur la fourchette entre mes doigts. Le souvenir de la mère de Kris me tétanise. Et si ma mère réagissait pareil ? Je ne suis pas sûr de supporter l'idée que je la répugne.

- Il fera le bon choix, Chad. Pas besoin d'être un génie pour connaitre la décision qu'il va prendre.

- Je n'en serai pas aussi sûr.

- Tu sais, mon chéri, murmure ma mère en posant une main sur ma joue, l'Amour ne se contrôle pas. Il te tombe dessus et ensuite, tu vis à travers lui.

- Comment... Oh merde, tu le savais aussi ?

De la table, j'entends un ricanement et mes yeux se déportent sur mon père qui me regarde, amusé. Kris n'est plus avec lui, les pas dans l'escaliers me préviennent qu'il redescend.

- Fiston, on n'est pas aveugle et on a connu ça avant toi, se marre mon père à nouveau. Alors Kris, tu as trouvé ce que tu cherchais ?

Je n'ai pas le temps de réaliser la portée des mots de mes parents que ma mère revient à la charge. A voix basse, elle se penche vers moi et, petit sourire en coin fière d'elle, elle balance une dernière phrase.

- Il n'y a que toi qui refuse d'ouvrir les yeux, Chad. Et il serait peut-être temps de le faire, avant de perdre ce qui te rend heureux.

Un frisson glisse le long de mon échine alors que ma mère s'écarte de moi. Le cœur qui accélère, je ne parviens pas à m'empêcher de jeter un regard vers Kris. Comme s'il sentait la brûlure de mes yeux sur lui, il lève les siens dans ma direction.

Apprends-moi ce que c'est, l'Amour.

Seulement si tu décides de me laisser t'aimer.

Je n'ai pas besoin de prononcer un mot pour que Kris comprenne ce qui me traverse l'esprit. Ma mère a raison : je ne peux pas perdre ce qui me rend heureux et entier depuis des années. Alors un sourire vient étirer mes lèvres et j'acquiesce d'un léger mouvement de tête. Le regard de Kris devient brûlant et je ne désire plus qu'une chose : apprendre à l'aimer, lui.