Instants fugaces

LXVI

Je tire une carte du paquet et grogne. Kris sourit, ma mère plante un plus quatre sur la table et mon père râle encore plus fort que moi.

- T'es une tricheuse, bordel !

- Mauvais joueur, je ricane.

- Et toi, t'es bien son fils !

D'un mouvement de tête, Kris acquiesce avant de taper dans la main de mon père. Ces deux-là s'entendent trop bien mais je ne peux pas nier : depuis le début de la partie, on s'échange des cartes en cachette avec ma mère. Voilà pourquoi mon père n'arrête pas de piocher. Un regard avec ma mère et je me retiens de rire.

- Prends ça, au lieu de te marrer.

Je roule des yeux alors que Kris tape dans la main de mon père, fier de son petit coups. La partie continue, sous les grognements, la triche et les regards qu'on échange, plein de sous-entendus. La simple présence de Kris, ici, réchauffe chaque cellule de mon corps. J'ai besoin de le savoir avec moi, pour moi. J'ai toujours peur qu'il se lasse, qu'il réalise que je ne suis pas ce qu'il désire, que je n'attendrai jamais la personne qu'il voyait derrière notre amitié.

Parce que malgré tout, je me découvre encore. Kris a su baisser mes barrières et s'infiltrer jusqu'à mon coeur mais je cherche encore celui que je suis. C'est difficile. Passer de meilleur ami à une relation amoureuse, sincère, de confiance quand on en a jamais connu, c'est terrifiant. Je ne connais pas nos limites, je ne sais pas jusqu'où ça peut nous mener.

- C'est à toi, Chad.

Je relève les yeux sur Kris, qui sourit en coin. De nouveau, son regard s'embrase, ses yeux me dévorent et son pied glisse contre le mien. Mon cœur tape violemment dans ma poitrine, comme une décharge électrique qui le réveillerait de son sommeil. Fermer les yeux, nier, ne pas vouloir comprendre ce qu'il ressent, ça a été ma façon d'agir ces derniers mois. Mais lorsqu'il penche la tête, face à moi, le regard si pétillant, je ne peux que plonger avec lui.

- Tu penses à quoi au point de te faire cramer tes trois neurones ?

- Juste à nous.

Il se fige, le temps de comprendre, ce qui me laisse le temps de reprendre mes esprits. Et d'inverser la tendance du jeu en posant une carte, qui le fait piocher.

- T'es fourbe !

- Oups.

Il secoue la tête avant de m'allumer d'un regard, me promettant mille et une souffrances dès que mes parents auront le dos tourné.