Instants fugaces

XLVI

Assis devant son café, Kris ne lâche pas un mot. C'est à peine s'il m'a regardé quand je l'ai rejoint, et ça m'a convaincu qu'il pouvait se fourrer un câlin au fond du gosier. Pourtant, mes doigts me démangent : j'ai envie de l'attirer contre moi. Ses yeux plongent enfin dans les miens.

- J'ai été renvoyé de mon taff.

- Quoi ? Ca remonte à quand ?

- Quatre jours.

- C'est pour ça que tu m'as ignoré ?

- J'avais... honte.

Sourcils froncés, je le dévisage alors qu'il baisse les yeux vers son café.

- Une cliente m'a fait des avances et je lui ai dit que j'étais déjà maqué avec un mec.

- Mais t'es célib... Oh. Putain. Je...

- C'est bon, j'ai pas besoin de tes phrases bateaux. Quand la nana a compris le délire, elle s'est tirée et c'est mon patron qui m'est tombé dessus. J'avais aucune foutu idée qu'il était homophobe donc en quelques phrases, il m'a clairement fait comprendre que je pouvais rendre mes affaires et partir.

- T'es sûr que ça s'est passé aussi simplement ?

- Oui.

Mon poing se serre et Kris pince les lèvres. Il me ment et je hais ça.

- Tu comptes faire quoi, Chad ? Te déplacer là-bas et lui casser la tronche ?

- Pourquoi pas !

- Ce serait juste stupide. Surtout que tu n'as rien à voir dans cette histoire et que tu n'es ni gay, ni mon mec.

- Mais je suis quand-même avec toi.

Kris écarquille les yeux avant que je ne réalise ce que je viens de dire. C'est le moment de fuir, Chad. Mais mon corps ne me répond plus et je reste planté devant mon meilleur pote, son regard plongé dans le mien.

- Ca veut dire quoi ?

- Kris, je...

- Putain, Chad, ça veut dire quoi ?

Je me mords la joue, cherche à faire le tri dans mes pensées mais tout s'embrouille et Kris ne m'aide pas. Il se rapproche de la table et glisse ma jambe entre les siennes pour me bloquer. J'ai soudainement chaud, trop chaud.

- Je sais pas...

- Je vais te faire bouffer ton café par le pif !

- Arrête de me mettre la pression, bordel !

- Alors dis ce que tu as sur le coeur !

- Je vais te vomir dessus !

- Oh, ça sera pas la première fois !

- Ne remet pas ça sur le tapis, Kris !

- Si ! Tu n'avais qu'à pas boire comme un trou !

J'éclate de rire quand il m'imite, penché au-dessus de WC fictif, en train de dégobiller la totalité de mon âme. Cette soirée avait été catastrophique, mais on venait d'obtenir notre diplôme.

La tension dans mes épaules s'est volatilisée, le regard de Kris est de nouveau plein de vie et je me sens à ma place, avec lui.