Instants fugaces

XXIX

Kris est roulé en boule dans sa couverture, à même l'herbe. Je souris avant de bouger les braises. En plein milieu de la colline, notre groupe de potes a déployé trois tentes. Une rando, une soirée et le levé de soleil imminent. Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit alors que les autres dorment. Je m'étire, attrape le sac de Kris puis son appareil photo avant de m'éloigner pour rejoindre le bord de la falaise. Des rochers qui descendent jusqu'à un lac, mais on ne peut pas y passer : trop abrupt, trop dangereux.

J'allume le gadjet et inspire l'air frais. Le soleil commence à se montrer, encore une dizaine de minutes à attendre. Alors je regarde les clichés qu'a pris Kris, tandis qu'on marchait. On nous voit rire, nous chambrer, nous bousculer et nous entre-aider. Il y a aussi des paysages, des fleurs, des boucs. Sa passion ressort sur chacune des photos. Il sait s'y prendre. Je m'arrête sur une photo, fronce les sourcils et finis par sourire. Kris me tient par les épaules, alors que j'ai l'air de souffrir et il rit. Je me souviens, une des filles a pris la photo et à cet instant, on venait de croiser un serpent énorme. J'ai hurlé, flippé et ils se sont tous bien marrés.

En changeant encore de photo, je tombe sur des clichés lambdas, jusqu'à tomber sur celle que je cherchais. De cet après-midi au skate-parc. La main dans les cheveux, le t-shirt relevé, les joues rougies par l'effort et surtout, ce regard de braise que je lance. A Kris. Parce que c'est lui, derrière l'objectif. La photo, légèrement en contre-plongé, rend le tout incroyablement sexy. Le skate rajoute la touche bad-boy. Mon coeur fait un bon en se souvenant de l'expression de Kris, narquois, de ses yeux joueurs. Et putain, j'étais prêt à jouer, à ce moment-là.

- C'est ma préférée de ce shooting.

Je sursaute alors que Kris s'assoit à côté de moi, couverture sur les épaules. Ses yeux sont rivés sur le soleil, qui se lève enfin. Il récupère l'appareil sans un regard dans ma direction et commence à le régler pour prendre un cliché.

- Pourquoi c'est ta préférée ?

Je n'arrive pas à réfléchir à autre chose. Les cheveux en bataille, son visage concentré, ses lèvres pincées, je ne veux pas l'embêter. Mais j'ai besoin de savoir.

- Parce que c'est la seule photo de toi que je garde pour moi.

Je détourne les yeux avant qu'il ne me lance un coup d'oeil pour voir ma réaction. Et mon sourire en coin en dit long sur ce que je ressens.