Chapitre 11 : Seven

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« Le vraisemblable est un piège que le mensonge tend à la vérité »

Yvan Audouard

Décembre

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Après le dîner, mon père m'a fait appeler. Je suis maintenant dans son bureau et j'attends qu'il m'énonce la raison de ma présence ici. Mais bien sûr, il continue de lire et d'apposer sa signature sur toutes sortes de documents. J'aimerais lui proposer l'idée de repasser tout à l'heure quand il sera moins occupé, mais je sais que ma requête sera malvenue. Il déteste que je conteste ses idées et je suis sûr qu'il serait offensé, si j'osais ne serait-ce que parlé, sans qu'il m'y ait invité avant.

Je ne le comprends pas.

Mon père a eu la même enfance que moi. Grand-père ne se montrait jamais gentil avec lui, il passait son temps à lui rappeler ses faiblesses. Il ne le félicitait jamais quand il faisait quelque chose de bien. Pour lui, c'était normal et il n'y avait rien d'exceptionnel à ça. Mais il ne manquait pas une occasion de le rabaisser s'il se montrait un peu moins performant que d'habitude. Grand-père ne lui a jamais dit qu'il l'aimait et j'ai abandonné depuis longtemps l'idée que mon père me le dise.

Lui plus que quiconque sait à quel point on peut souffrir de vivre une enfance de ce genre. Il n'aurait pas dû avoir d'enfant si ça le désole autant de s'en occuper.

Je sais que c'est en partie de ma faute. Après tout, je n'arrive pas à remplir toutes ses attentes et je suis loin d'être parfait... Je fais de mon mieux, mais ce n'est jamais assez. J'ai remarqué qu'il avait commencé à porter un peu plus d'attention à mon petit frère alors que jusqu'à présent, il l'ignorait complètement. Cette année encore, il a oublié son anniversaire. Mais je suppose que c'est toujours mieux que s'il y avait pensé. Il y a deux ans, il avait fait acheter un gâteau pour lui et avait fait écrire quelque chose dessus. Quand une de nos employées était venue apporter le gâteau le soir, mon père avait déclaré qu'il l'avait commandé exprès pour mon petit frère. Stevenson avait été extrêmement joyeux, jusqu'à ce qu'il remarque qu'il y avait 2 bougies de trop sur le gâteau...

Ça fait longtemps que je n'attends plus rien de mon père, mais ça me brise le cœur de voir mon petit frère, attendre chaque année une attention de sa part.

Depuis que notre père lui porte un peu plus d'intérêt, Stevenson est plus qu'heureux. Mais notre père fait ça seulement pour mieux le façonner à son image, pour faire de lui un vulgaire pantin.

Comme il a essayé de le faire avec moi.

Je n'entends plus le bruit du stylo gratter le papier et relève la tête pour voir mon père ranger ses affaires.

— Ta tante vient nous rendre visite bientôt. Elle ne m'a pas encore communiqué de date.

Il me regarde et je me sens petit face à lui qui est si imposant derrière son bureau.

— J'attends de toi que tu aies une attitude exemplaire.

— Oui.

Il me fixe encore quelques secondes. J'aimerais lui demander si je peux partir, mais je sais que c'est à lui de m'autoriser à quitter son bureau et non le contraire.

— Tu peux disposer.

— Merci.

Je quitte son bureau et soupir de soulagement quand j'entre enfin dans ma chambre. Je n'ai pas de devoir cette semaine et j'ai révisé une bonne partie de l'après-midi. Comme j'ai déjà fait mes leçons, je n'ai plus rien à faire. Je me dirige vers mon armoire et prends mon pyjama.

Porcelaine - Fissure de verreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant