Chapitre 31 : Ash

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« Nous sous-estimons souvent le pouvoir d'un contact, d'un sourire, d'un mot gentil, d'une oreille attentive, d'un compliment sincère ou de la moindre attention ; ils ont tous le pouvoir de changer une vie. »

Leo Buscaglia


Février

Je suis assis dans le même fauteuil que la dernière fois et la psychothérapeute m'observe sans rien dire. À part quelques mots, je n'ai pas ouvert la bouche depuis mon arrivée. Je me contente de fixer le tableau accroché devant moi.

Il représente une femme nue en larmes. Elle montre ses poignets ensanglantés. Je me demande pourquoi Hupffon a accroché ce tableau-là. Il est bien fait, c'est sûr, mais il est surtout complètement déprimant et morbide.

Cette femme me renvoie tant de choses. Elle a l'air si désemparée, si perdue... Ses poignets sanguinolents sont comme un appel à l'aide, un signe qu'elle veut encore être aidée, qu'il n'est pas forcément trop tard. C'est juste une femme qui, faute de mieux, s'est fait du mal pour qu'enfin, les gens remarquent qu'elle souffre... Ou pas.

Peut-être qu'elle s'est tranché les veines parce qu'elle en a marre et qu'elle veut mourir. Qu'elle en a juste assez de faire semblant d'aller bien, de vivre ! Et qu'elle pleure de soulagement parce qu'elle n'aurait jamais pensé se sentir aussi libre qu'à cet instant.

Je me suis toujours demandé si ceux qui se suicidaient étaient lâches ou courageux. Au final, mettre soi-même fin à son calvaire, est-ce que c'est si lâche que ça ? Ôter une vie n'est pas évident, que ce soit la sienne ou celle d'un autre... Pourtant, je ne suis pas sûr que je puisse dire que les personnes qui se suicident soient vraiment courageuses. Sincèrement, je n'en sais rien. Jusqu'à la semaine derrière, je n'avais jamais pensé réellement à mourir. Je ne me permettrai pas de juger ceux qui souffrent tellement qu'ils en arrivent à cette extrémité.

Je sais ce que c'est que d'être à bout, d'en avoir marre. Depuis quand vivre est-il devenu si dur, que certaines personnes voient en la mort, une solution à leurs problèmes ? Ça n'a jamais été facile de mourir. Ça fait peur et atrocement mal... Mais maintenant, je sais une chose. Si mourir n'est pas facile, vivre est aussi difficile. C'est triste.

— Tu es bien silencieux aujourd'hui, me dit Hupffon.

— C'est parce que je n'ai rien à dire. J'ai dû trop parler la dernière fois, je fais, cynique.

— Si tu n'as rien à dire, peut-être peut-on entrer dans le vif du sujet ? propose-t-elle alors.

— C'est-à-dire ?

— Si on parlait de tes troubles obsessionnels compulsifs, et plus précisément de ta tentative de suicide ? C'est pour ça que tu es là, n'est-ce pas ? Ne te braque pas...

— Je ne me braque pas.

Je détourne le regard histoire de me donner un peu de contenance.

— Tout va bien alors. Parle-moi de ce qui t'a poussé à vouloir passer à l'acte.

Je reste muet un moment avant de me rendre à l'évidence. Je suis là pour que toute cette souffrance s'arrête et ça ne marchera que si j'y mets du mien. Je le sais, mais... J'ai peur d'en parler. Je n'ai pas envie qu'on me juge.

Je soupire et gigote, mal à l'aise. Hupffon attend patiemment que je me lance et dans son regard, je crois distinguer sa véritable intention. Elle ne me jugera pas. C'est son travail après tout. Aider les personnes « comme moi ».

Porcelaine - Fissure de verreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant