Tarsis

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  – Vous nous quittez déjà ?

L'église du village sonnait vingt heures lorsque Milan descendit les escaliers de l'auberge après cette journée passée au frais sous les toits. Il rendit la clef et régla la chambre. C'est ici qu'il s'était entendu interpeler.

Il se retourna avec surprise. La voix était féminine, elle provenait de derrière le paravent couvert de prospectus qui faisait office de panneau de renseignements.

Sa propriétaire sortit de l'ombre pour dévisager le visiteur avec curiosité. Il s'agissait d'une jeune femme athlétique, à la peau mate, aux cheveux nattés, au style un peu militaire avec son pantalon de treillis et son bandeau sur le front.

  – Parce que je devrais rester, selon vous ? répondit Milan en examinant la jeune femme.

Cette dernière lui rendit son regard. Ils se scrutèrent un instant. Peut-être que la jeune femme se disait que cet étranger avait une certaine allure, son air mystérieux planté en travers du regard. Et peut-être que l'homme en retour songeait que la jeune femme ne manquait pas d'aplomb, avec sa mâchoire carrée et son sourire carnassier. Mais cela restait à l'état de conjectures.

  – C'est dommage de passer la journée dans une chambre et de partir alors que la soirée commence à peine, répondit-elle finalement.
  – Je suis pas trop du jour...

Le vieil homme qui lui avait déjà adressé la parole, plus tôt dans la matinée, intervint à ce moment dans cet échange.

  – Si vous venez pour la Soule, pourquoi vous repartez déjà ? demanda-t-il.

Assis à une table, cette fois, le vieil homme au sourire édenté le scrutait avec davantage de lucidité. Ce personnage avait dû être robuste, jadis, mais il semblait aujourd'hui desséché comme une branche morte.

Milan fronça les sourcils.

  – Écoutez... vous êtes gentils avec votre soule, mais en ce qui me concerne, jamais entre les repas.

L'énergumène éclata d'un rire hoquetant entre ses dents clairsemées. La femme le gratifia d'un regard qui le fit taire immédiatement, puis elle reprit avec ironie.

  – Qu'est-ce que vous faites à Tarsis la veille du solstice, si c'est pas pour la Soule ?

  – Eh bien, c'est ce qui arrive lorsqu'on se rend en Espagne en empruntant l'itinéraire touristique... Mais je ne comprends pas, qu'est-ce que c'est au juste, cette "soule" ?

En guise de réponse, la femme retira un vieux tableau d'une paroi de l'auberge, qui dénotait à côté des autres cadres représentant les épreuves d'artistes colorées et modernes. Elle le tendit à Milan qui s'en saisit avec perplexité.

  – On ne peut pas nier à son auteur un certain coup de crayon... commenta-t-il en observant le croquis. C'est ça, la "Soule" ?

La jeune femme acquiesça.

  – C'est une très vieille pratique, expliqua-t-elle, où deux équipes s'affrontent pour la victoire.

Milan examina plus en détail le dessin ancien, où s'affrontaient en effet deux équipes rivales, voire peut-être même plus, parce qu'ils étaient extrêmement nombreux sur l'image, formant davantage une énorme mêlée chaotique que deux clans distincts. A cette mêlée se joignaient des hommes semblant jaillir de toutes parts ; et l'autre particularité résidait dans le fait que leur soi-disant "ballon" ressemblait moins à un véritable ballon qu'à une tête humaine !

Milan rendit le tableau à la jeune femme, tandis que l'aubergiste apparaissait en arrière dans l'entrebâillement de la porte.

  – Hum, fit-il négligemment. C'est un jeu de balle, quoi.

Milan Lazsco : La Soule [E2 Quadrilogie du vampire]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant