Toute une histoire

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Milan Lazsco et l'assassin Malik faisaient la route en silence, rebroussant chemin vers le village de Soulevan. Sur leur droite, les pentes abruptes montaient vers les sommets pyrénéens. Des versants boisés de pins parfois clairsemés de rochers ou de clairières. La végétation était drue et verdoyante, la montagne massive et silencieuse, inspirant le respect. Il n'y avait pas, ou presque, de chants d'oiseaux ni de bourdonnement d'insectes, pas plus qu'il n'y avait de vent, ou encore moins de bruit de circulation. Tout était d'un calme imposant.

De l'autre côté, sur la gauche, la route donnait sur une pente descendante. A cet endroit, la végétation était davantage clairsemée : des pâturages s'étendaient sur une grande surface où paissaient quelques dizaines de chèvres et de bouquetins. L'herbe était aussi verte en aval que la forêt en amont, gorgée des pluies des derniers jours. Un ruisseau serpentait depuis les hauteurs et parcourait les déclinaisons en répandant le bruit de ses clapotis.

Milan nota qu'il n'y avait pas de barrières pour délimiter ces pâturages : les bêtes semblaient pour leur part libre de paître où elles désiraient.

  – J'ai une question idiote, fit-il. Les animaux sont concernés également par la malédiction ? Je veux dire, ils se cognent à cette muraille comme nous ? Sinon, ils pourraient s'enfuir et personne ne serait capable d'aller les chercher.

  – Au contraire des hommes, les animaux ne sont pas responsables des massacres passés, dit Malik. Ils ne sont pas touchés par la malédiction. Les oiseaux traversent la frontière comme bon leur semble, ainsi que le bétail. S'ils sortent du périmètre, ils y reviennent toujours de leur plein gré. C'est leur nature.

En même temps qu'il parlait, subitement, Malik s'arrêta de marcher. Il avait tourné les yeux vers les pâturages, et s'était arrêté pour regarder dans une direction particulière.

Milan s'interrogea sur ce qui avait stoppé l'individu, car il ne voyait rien pour sa part, hormis l'herbe caressée par le soleil, des fleurs sauvages, quelques abeilles qui butinaient, et une sorte de vol nuptial formé d'une nuée de papillons.

  – Un problème ? s'enquit Milan.
  – Non, rien, dit Malik. Et il reprit sa route.


Plus bas, au-delà des pâturages, la pente devenait plus abrupte, et l'on devinait qu'elle finissait dans une gorge. La veille, Milan avait traversé cette faille, parcourue par un cours d'eau qui se nommait la Doule. Il interrogea son compère à ce sujet.

  – La Doule sépare les deux villages, répondit Malik. C'est la frontière. Il n'y a pour traverser que le pont de pierre situé à quatre kilomètres en aval du village - celui que tu as emprunté pour venir - et un pont de liane à l'aplomb de Soulevan, pas très loin de l'endroit où nous sommes. Sinon, il faut escalader les falaises et traverser les gorges.
  – Elles sont dangereuses, j'imagine.
  – Il y a quelques passages praticables, mais l'endroit reste en effet assez escarpé. Surtout avec les pluies récentes.

A présent, ils étaient revenus dans l'enceinte de Soulevan. Le village était toujours aussi agité : tous se préparaient fébrilement pour l'inauguration dont Sandoz avait parlé.

En les observant aller et venir en tous sens, Milan ne put s'empêcher de les imaginer, tous autant qu'ils étaient, sous leur forme animale, qu'il leur avait vu adopter la veille. Cette image était à la fois inquiétante et saugrenue, ce qui le fit sourire malgré lui.

  – Tu conserves ton sens de l'humour on dirait, fit Malik. C'est bien.
  – C'est juste que je les imaginais... Au fait, le prends pas mal, mais... toi aussi tu deviens... un de ces monstres, la nuit tombée ?

Milan Lazsco : La Soule [E2 Quadrilogie du vampire]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant