Sous la chaleur des derniers jours, même ce début de matinée était lourd. Pourtant, la vieille femme portait des vêtements épais et nombreux. Finalement, cela lui faisait un point commun avec Milan, qui était couvert de la tête aux pieds pour se protéger du soleil.
Une fois qu'ils eurent quitté le village pour emprunter le sentier menant à la vieille masure de la doyenne, sur les pentes vallonnées, Milan engagea la conversation.
– Madame, demanda-t-il poliment. Vous vous souvenez, quand j'étais enfant, et que vous me racontiez les légendes de la Soule ?
– Oui... oui... dit la vieille femme.– Comment tout ça a commencé, et tout... dit Milan.
– Oui... oh oui !
– Est-ce que vous pourriez me le raconter encore, comme autrefois ?La vieille femme poussa un petit rire innocent.
– Je me demande comment tu peux te rappeler ça, mon petit Léandre... étant donné que tu es mort-né.
Ces paroles prononcées sur un ton presque joyeux jetèrent un froid dans la conversation. Si Milan s'était douté que la doyenne jouait un rôle en se donnant des airs séniles, il en avait désormais la confirmation.
La vieille femme lâcha son bras pour le scruter avec profondeur.
– En quoi nos vieilles histoires peuvent intéresser un étranger ? demanda-t-elle d'une voix soudain plus aride.
– Vous savez comme c'est quand on fait du tourisme, répondit Milan avec détachement. On visite un endroit pittoresque et on finit par s'y attacher, on fouine partout pour apprendre tout ce qu'on peut.
La doyenne émit alors un petit rire, et rendit son bras à Milan, qui le reprit sans trop savoir ce que signifiaient les rires de la doyenne : étaient-ils positifs ou négatifs ?
Mais il semblait qu'il avait réussi à la gagner à sa cause, car elle déclara :
– Que veux-tu entendre ?
Milan observa la vieille femme devant lui. Sa peau était ridée presque au point d'en devenir parcheminée. Si quelqu'un pouvait lui révéler les secrets les plus anciens du village, c'était incontestablement elle.
Il avait tellement de questions en réalité qu'il était difficile de savoir par où commencer, d'autant que sa bonne volonté paraissait un peu inespérée.
– Je vais t'aider, déclara la Doyenne. Je tiens cette histoire de ma grand-mère, qui elle-même la tenait de la sienne... Ce qui fait que je suis la seule ici probablement à la connaître.
– Quelle histoire ?– L'origine de la malédiction, mon petit Léandre... c'est bien ça que tu voulais savoir.
– Absolument ! Mais... vous me diriez à moi ce que vous n'avez jamais dit à personne ?
– Tu es le premier à me le demander. Personne ici n'a envie de savoir.Il n'y avait rien d'étonnant à cela, en réalité : les malédictions prenaient généralement de nombreuses précautions pour se protéger de leurs propres sujets, afin qu'ils restent docilement prisonniers de l'engrenage. Une des magies les plus puissantes appliquées à cet effet était celle des tabous.
Un banc de pierre se trouvait sur le chemin. Étant donné que la vieille femme commençait à fatiguer dans ce sentier en pente, et que Milan craignait qu'elle n'ait plus suffisamment de souffle pour parler, il la fit s'asseoir.
– Au début de la malédiction, récita alors la Doyenne, sur un ton posé, il y avait deux frères, deux demi-frères plus exactement. C'était en 1793, et tu sais, c'était une vilaine, vilaine époque.
– Oui, dit Milan, je le sais... Je veux dire, je l'ai lu dans les livres.
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Milan Lazsco : La Soule [E2 Quadrilogie du vampire]
VampireAu détour d'une route des Pyrénées, deux villages se livrent à une compétition antique et mortelle. Serait-ce l'œuvre d'une malédiction ? Il se trouve que même quand on est un vampire, on ne plaisante pas avec les malédictions. ...