Faux semblants

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Cintra se retourna vers un émissaire du village qui venait de pénétrer dans le hangar en terre battue. L'individu aux sourcils épais et aux muscles noueux se racla la gorge avant de déclarer sur un ton hésitant :

  – Commandante... Le Maire Thievan... hum... votre père fait dire qu'il ne viendra pas.
  – Pardon ? fit Cintra. Je lui offre Sandoz sur un plateau et il...

  – Il dit qu'il y a un changement de plan... fit l'homme de main avec gêne. Il dit que... qu'il ne faut pas procéder à l'échange.
  – Quoi ?! se fâcha Cintra, voyant soudain rouge.

  – Nous allons garder la fille de Sandoz, conclut l'émissaire. Le Maire veut qu'on la lui emmène, maintenant. Avant... la tombée de la nuit.

  – Qu'on... ? Pour faire quoi ? se fâcha Cintra. Puis subitement, la jeune femme se ravisa et changea de ton, quoique plus fâchée encore. Ce n'est pas mon père qui a donné cet ordre ! comprit-elle.

Ces mots lui attirèrent un regard intrigué de Milan Lazsco et lui firent comprendre qu'elle avait trop parlé. Ne voulant ni se donner en spectacle face à leurs ennemis, ni leur offrir des informations confidentielles, la meneuse s'interrompit dans sa tirade. Elle sortit avec l'émissaire ainsi que plusieurs de ses sbires.

Dehors, il y eut une forte altercation, à grands renforts de cris, au terme de laquelle Cintra revint en trombe dans le hangar, visiblement hors d'elle. Quelle que fût la raison de cette complication, elle paraissait très grave aux yeux de la meneuse adverse, au point de négliger temporairement ses captifs.

  – Sadia ! s'écria-t-elle à l'intention de la change-forme affichant toujours le visage de Yacin. Tu bouges pas d'ici, personne ne vient toucher à mes prisonniers ! Tu entends, personne !

Cintra avait ajouté ces mots en scrutant les hommes de Tarsis, comme si sa confiance en eux restait limitée. Milan comprit qu'elle était certainement le chef de la partie de Soule, et toute la partie concernant les combats ; mais qu'en tant que tel, le Maire Thievan restait le maître du village, et qu'il se tramait des choses à un niveau plus élevé sur lequel Cintra ne possédait pas toute autorité.


Cintra repartit donc en laissant plusieurs de ses hommes devant la porte, sans accéder à la demande de son père, décidant au contraire d'aller argumenter par elle-même. La porte claqua derrière elle en donnant une nouvelle preuve s'il en fallait de sa colère.

Il ne resta plus, à l'intérieur, en plus des silhouettes prisonnières de Manille et Milan, que quatre Tarsiens et le change-forme femelle grimé en Yacin.

Après cet intermède, pendant quelques instants, il ne se passa rien. Manille s'était quelque peu calmée, troublée par l'échange, bien que sans en comprendre le fin mot. Milan quant à lui n'avait pas perdu la moindre information.

Même les Tarsiens du hangar agricole étaient désarçonnés par la situation, et quant à la change-forme au milieu d'eux, elle n'avait toujours pas proféré le moindre mot, pas plus qu'elle n'avait bougé.

Milan décida de mettre à profit cet intermède en s'adressant à la créature.

  – J'ai connu d'autres changelins, dans ton genre, dit-il en employant le nom ancien de ces créatures. Toi et ton frère n'étiez pas très hauts dans la hiérarchie de votre caste, n'est-ce pas ? Vous êtes les troufions de base. Sans quoi vous ne prendriez pas le risque de vous frotter à une malédiction. C'est beaucoup de risques, pour ce qu'on a dû vous payer.

La change-forme haussa les épaules. Elle continuait à fixer Manille.

  – Quoi ? la provoqua à nouveau cette dernière. Tu crois que tu me fais peur ? Ôte-moi mes liens, et on règle ça tous les deux.

Milan Lazsco : La Soule [E2 Quadrilogie du vampire]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant