La Venturi ralentit à l'approche du village de Soulevan.
D'un coup d'œil dans son rétroviseur, Milan vérifia qu'on ne l'avait pas suivi, puis s'engagea dans la rue principale.
Comme pour Tarsis, la route traversait le centre de Soulevan ; mais là s'arrêtait la ressemblance entre les deux villages. Autant le premier était ouvert, opulent, dynamique, autant celui-là donnait une impression d'abandon. Des herbes envahissaient les cours pavées, du lierre couvrait les façades, des racines allaient jusqu'à déformer par endroit les côtés de la route.
Soulevan n'était pas forcément plus petit que Tarsis à l'origine, mais il semblait aujourd'hui déserté. Les seules curiosités étaient une église aux vitraux affichant des couleurs délavées, une grande place mal entretenue, et quelques jolis bâtiments d'époque entourés d'allées de pins. La plupart des volets des maisons étaient clos, on n'apercevait ni magasin, ni véhicules, ni activité. Pas un enfant ne courait dans les allées, pas un passant dans les rues.
Quant à l'auberge et sa lourde porte métallique, elle ne donnait pas envie de faire halte.
Milan traversa donc le village sans rencontrer âme qui vive. S'il avait été intrigué par l'existence de ce lieu, depuis Tarsis, à présent qu'il le voyait de plus près, cela ne lui donnait pas envie d'approfondir la question. Il se contenta de continuer tout droit entre les bâtiments lourds et austères.
Pourtant, s'il ne comptait pas s'arrêter, c'est le destin qui lui força la main. Soudain, à la sortie du village, alors même qu'il reprenait de la vitesse, sa direction battit de l'aile. La Venturi partit en zigzagant et dut freiner pour éviter de se renverser dans le talus.
Milan s'arrêta sur le bas côté. C'est en descendant de voiture pour examiner sa roue qu'il comprit : pneu crevé.
En examinant les autres roues, Milan poussa un juron. Non pas un, mais trois pneus crevés sur les quatre ! S'agenouillant, Milan retira un clou pointu du caoutchouc noir de ses roues. Il eut à ce moment un hochement de tête entendu : s'il avait pu croire au hasard au début, ce n'était plus possible.
D'un côté se trouvait la montagne, déserte, dans la pénombre croissante ; de l'autre le village, tout aussi désert en apparence, mais qui avait des chances de ne pas l'être totalement. Avec la nuit qui n'allait pas tarder à tomber, le choix n'était pas difficile.
Se faisant une raison, Milan partit à pied vers le cœur du village, situé à trois cent mètres de là. Les premières maisons approchaient dans le crépuscule, sombres en raison de l'absence d'éclairage de rue. Elles s'échelonnaient silencieusement, comme des tombes.
Milan ne voyait pas trace du moindre garage, il se dirigea donc vers l'auberge en comptant dénicher au moins un téléphone.
Parvenu devant les deux gros battants en métal rouillé de la porte de l'auberge, le malchanceux voyageur hésita un instant, doutant finalement que l'endroit fût habité. Un vieil arceau tordu ornait la porte... C'était ce genre d'endroit qui, dans les romans, dissimule généralement une créature effrayante dont le seul but semble être de vous dévorer...
Il se trouvait cependant que Milan ne craignait guère les histoires d'épouvante ; aussi se saisit-il du loquet et cogna-t-il deux fois contre le métal, faisant résonner un bruit sourd qui semblait apte à réveiller même un village fantôme.
Un long instant s'écoula sans que rien ne se passe ; puis soudain, le battant pivota. Milan fut un peu étonné de voir apparaître par l'embrasure une dame corpulente, au visage marqué par les années. Elle portait un épais tablier, maculé de taches, et un gros collier de perles de bois pendait sur sa poitrine massive. Quelques poils malintentionnés se hérissaient sur sa joue droite, tandis qu'une frange rebelle de ses cheveux dissimulait partiellement ses yeux noirs.
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Milan Lazsco : La Soule [E2 Quadrilogie du vampire]
VampirosAu détour d'une route des Pyrénées, deux villages se livrent à une compétition antique et mortelle. Serait-ce l'œuvre d'une malédiction ? Il se trouve que même quand on est un vampire, on ne plaisante pas avec les malédictions. ...