Dylani ❄
Nous prenons le petit déjeuner par terre, sur notre table basse. Zeina et Bunicuta apportent du gruau, des oladuskis et le café. Les voisins qui n'ont plus d'électricité sont là aussi, ils ne parlent que le malien et je l'apprends pour leur parler. Je ne connais que quelques mots, pas de quoi tenir une conversation. Je me suis couché à deux heures du matin, mon chef de rayon a vite appris à faire l'impasse sur ma jeunesse, quand cela l'arrange.
Omar louche sur son téléphone en douce et cela ne loupe pas son père le lui confisque, fâché, ce gamin ne sera jamais rusé. Je lui fais les gros yeux !
En servant le café, je promets à nos voisins de les aider pour leurs démarches administratives.
─ Tu es un bon garçon ! dit Baba, émerveillé que je sache remplir un formulaire B432 de la CAF.
Cela m'amuse, surtout qu'elle continue sur sa lancée.
─ Mon Ani est un savant !
Il faut comprendre en langage de ma mamie : il sait remplir les formulaires d'immigration et de police. C'est tout ce qui l'intéresse. Pour elle, cela relève du magique. Je la laisse vanter mes exploits dans les différents méandres des administrations et je me tourne vers mes choupinettes.
─ Amal ? Ma puce, tu pourrais me prêter à nouveau ton stylo à paillette ?
─ Tu veux écrire à ton amoureuse ? devine la petite chipie.
─ C'est un secret, je fais une blague à quelqu'un.
Les autres ricanent de ma demande, pas très dupe, il me semble.
Dans mon lit, cette nuit, j'ai pensé à ma touche, en fantasmant sec, car son écriture est belle et je ne sais pas pourquoi, mais j'ai senti comme la promesse de quelque chose. J'ai envie de le trouver avant qu'il ne me trouve, c'est injuste, puisque j'ai écrit qu'il devait me découvrir le premier, mais je ne suis pas toujours un gentil garçon.
Je me tourne vers Omar désireux de changer de sujet.
─ Au fait, tu te tiens à carreau ?
Il me désigne son père qui parle au voisin avec autorité.
─ J'ai intérêt.
─ C'est quoi ces papiers ? intervient ma grand-mère qui regarde mes paquets colorés.
─ Des post-its.
─ Dis-le en tchétchène ! râle-t-elle devant le mot étrange.
─ Ben on dit post-it aussi voilà !
Elle grogne des injures sur les gamins irrespectueux qui ne parlent pas la langue de leur pays.
Il est temps d'y aller. Nous descendons tous les six, moi je m'arrête devant la porte où mon copain m'attend déjà. Omar accompagnera les filles à l'école maternelle et primaire.
Quand nous arrivons au lycée, Mehdi me dépose et va faire ses trafics qui me désespèrent. J'ai beau les engueuler, leur parler des dangers, ces gars ne voient pas plus loin que le bout de leur nez.
Il est tôt, il n'y a personne dans le hall. Par acquis de conscience, un dernier coup d'œil circulaire me confirme que je suis bien seul avant d'aller au panneau d'affichage.
Je mets d'abord un Post-it de modération rappelant que nous sommes dans un lycée, j'en rajoute un de ma part, avec le stylo à l'encre violette à paillette qu'Amal était toute contente de me prêter à nouveau :
Il faudra assurer ! J'ai des attentes assez élevées. Viens, je t'attends. Attention à toi si tu éveilles mon attention !
Je me marre tout seul de ma connerie. C'est fou comme échanger avec lui me fait du bien. Je me désespérais de la nature humaine et je vais mieux d'un coup. Cependant, ma bonne humeur s'évanouit quand j'arrive en classe, Vanessa est absente.
Sur l'heure du déjeuner, avant d'aller au club informatique je vérifie le panneau. Là, j'ai une bonne et une mauvaise surprise. La mauvaise, ce sont les nouveaux messages d'attaque contre Vanessa. Il y en a qui n'ont pas de vie dans ce bahut ! À passer leur temps à écrire des messages anonymes ! Je les retire tous excédé et les glisse dans ma poche.
La bonne surprise : un des déprimés à qui j'avais écrit un message bidon a répondu. Celui à qui j'ai dit qu'il n'était pas seul et à qui j'ai parlé de sport. Je ne sais toujours pas si c'est : il ou elle.
C'est cool d'échanger avec toi. Je n'aime pas trop le sport. À ton avis, quel sport je pourrais faire ?
Génial il a réussi à répondre sans « genrer » sa réponse, à se demander s'il l'a fait exprès. Finalement l'inconnu ne songeait pas au suicide, il souffrait d'être transparent et avait simplement envie d'échanger avec quelqu'un.
Qui cela peut-il être ? Nom d'une pipe ! Comment se fait-il qu'il ou elle n'arrive pas à parler à quelqu'un, en dehors d'un inconnu sur un papier. En pensant cela, je prends conscience que moi, je n'arrive à draguer qu'au travers de ces petits adhésifs colorés, je ne vaux pas mieux finalement ! Mais pour ce qui est de l'amitié, je n'ai pas de soucis, souvent, on me parle trop ! Décidément l'homme n'est jamais content !
Je sors de mon sac, les paquets de Post-its que j'ai en réserve et prépare une réponse rapide.
Va courir et tu me diras ton temps.
Me voilà coach sportif, doublé d'assistant social anonyme.
Je fixe mes messages adressés aux deux autres désespérées, peut-être qu'ils vont mieux ?
Pendant que je rédigeais mon message à l'inconnu, des élèves sont venus poser des messages anti Vanessa. Encore une dizaine et comme il y a le nom de famille, je me dépêche de les retirer. Puisque j'y suis, je mets un message pour elle, histoire d'inverser la balance :
Vanessa est belle.
─ Tu fais quoi ? demande un gars un peu enrobé, les cheveux bouclés ébouriffés qui porte une grosse doudoune à la mode hors de prix.
─ Je suis modérateur, je vérifie le panneau.
J'ai eu chaud, il ne m'a pas vu déposer le message.
─ Ah OK, tu peux me laisser seul ? J'ai un truc à mettre, explique le gars en rougissant.
─ No problemo ! Je repasserai plus tard.
J'espère que ce ne sera pas encore un message contre Vanessa. Je m'éloigne et reviens quand il est parti. Manque de bol pour lui, je le connais par cœur, je repère tout de suite son ajout :
Annette je t'aime
C'est trop mignon ! Je me demande qui est cette Annette et est ce qu'elle verra le message ?
Si je savais qui était la fille inconnue, qui se plaint de ne pas être aimée, je lui mettrais le même message, mais comment la trouver ?
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Opération Post-it[BL]
RomanceAu lycée Saint Saëns de Bordeaux le proviseur a mis en place un panneau de POST IT pour permettre aux lycéens de s'exprimer sur tous les sujets. Une innovation selon lui ! Dylani, un élève fauché et immigré, un surdoué facétieux, décide de lancer u...