Chapitre 2 - La Maison de la Lune

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Les étincelles dansaient encore quand j'atterris avec douceur à côté de l'arbre. Avec ses feuilles jaunies et son tronc dénudé, ce saule pleureur n'avait pas aussi fière allure que celui qui trônait au milieu de sa clairière près de chez moi.

Je jetai un coup d'œil au-dessus de ma tête et grimaçai. D'épais nuages s'amoncelaient dans le ciel et me menaçaient de leurs pans sombres. L'obscurité était telle que je voyais à peine plus loin que le bout de mon nez. Je levai ma lampe torche, dont la lumière vacilla puis se rétablit quand j'en tapotai le manche. Je me mis prudemment en route, à l'affût du moindre bruit. Je devais faire attention, parce que j'étais seule. Et à GhostValley, on ne savait jamais quels dangers rôdaient dans la nuit.

Je connaissais la route par cœur, mais c'était chaque fois une redécouverte. Même après toutes ces années, je me sentais encore une étrangère dans cet autre monde parfois hostile. Je n'avais plus vraiment peur, en tout cas pas autant qu'avant. Le simple contact de ma dague contre mon flanc suffisait à me rassurer. Ce n'était qu'un objet, mais je me sentais plus courageuse chaque fois que je m'en emparais. Elle avait été faite pour moi, après tout.

Je ne rencontrai personne sur ma route, pas même un des cerfs qui profitaient généralement de la nuit pour sortir sans crainte. J'arrivai bientôt à l'orée de la forêt, et la silhouette d'un manoir solitaire se profila entre les branches des arbres. J'étais chaque fois happée par la majestuosité de l'édifice, la succession de fenêtres sur la façade en pierres et la large tourelle couverte de lierre, surmontée d'une girouette en forme d'hirondelle. Je rejoignis le chemin de gravier, illuminé par quelques lampadaires, et gravis les marches du perron. Quand j'ouvris la haute porte à double battants, je mis de côté la lycéenne que j'étais le jour et endossai la peau de la combattante que je devenais la nuit.

Et certains jours de weekend aussi, pour mon plus grand déplaisir.

Le hall d'entrée dégageait une chaleur inhabituelle pour un bâtiment aussi ancien. Un tapis rouge usé recouvrait l'escalier en bois, tandis qu'un autre s'étalait au centre de la pièce. Les murs étaient chargés d'appliques dorées et de tableaux de toutes tailles, qui figuraient le plus souvent la mer, calme ou déchaînée. Sans doute une lubie d'un ancien responsable de la maison. Un grand lustre en cristal, digne du château de Versailles, pendait du plafond et projetait des éclats de lumière contre les tapisseries surannées.

Des voix animées et des rires me parvenaient de tous les étages, mais je traversai le hall pour me rendre dans la bibliothèque, là où j'avais le plus de chances de croiser mon chef. Je regardai ma montre et me mordis la lèvre : j'allais me faire taper sur les doigts.

Je refermai la porte derrière moi avec précaution. L'ambiance qui régnait dans la bibliothèque était si studieuse que le moindre bruissement enflait comme le souffle d'une tempête. Je n'étais pas très à cheval sur mes cours, certes, mais je raffolais de cette pièce et de l'odeur de papier qui s'échappait des étagères. La collection se composait de centaines d'ouvrages, mais, là aussi, la technologie chassait peu à peu la tradition, comme en témoignaient les trois ordinateurs alignés contre un mur. J'aurais pu passer des heures à observer les reliures à lettres d'or et les peintures un peu estompées qui ornaient le plafond mais, malheureusement, les Chasseuses de la Nuit n'avaient pas souvent l'occasion de flâner entre les étagères. Les travaux de recherche incombaient à leurs supérieurs, les Éclaireurs.

Au silence profond qui planait dans la bibliothèque, je supposai qu'elle était vide, et j'avais déjà tourné les talons lorsqu'une voix s'éleva des profondeurs des rayons :

- Il y a quelqu'un ?

Je pivotai sur moi-même pour voir un homme d'une cinquantaine d'années, lunettes vissées sur le nez, émerger de deux rangées de livres. Pile la personne que je cherchais : Frédéric Leclerc, responsable de la Moon House, la Maison de la Lune. En d'autres termes, mon boss.

Incandescence - Livre I - L'éclat de l'acier [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant