Si je n'allais pas dans Filthy, c'était Filthy qui venait à moi.
Un étudiant qui bûchait ses cours à l'ombre d'un parasol vert pomme ; une femme parée de lunettes noires qui, renversée sur sa chaise, offrait son visage aux rayons du soleil : voilà les deux seuls occupants de la terrasse. Nous n'allions pas manquer d'intimité, et tant mieux. Je brûlais de soutirer des réponses au sorcier, qui suivit mes instructions silencieuses et alla de mauvaise grâce jusqu'au garde-corps. Au pied du bâtiment, le ronflement des moteurs nous arrivait assourdi.
Je pris enfin la mesure de mon interlocuteur : je n'avais aucun mal à l'imaginer en kimono sur un tatami, à défier Teddy Riner, tant il était massif. Brun, un peu dégarni sur le haut du front, il arborait une barbe sous des yeux sombres encadrés de pattes d'oie. Une légère brise m'apporta des effluves d'un parfum capiteux, de ceux qui vous filent la migraine.
Un sorcier, dans ma ville. Dans ma dimension. Je peinais encore à y croire, pourtant, c'était lui qui me fixait avec méfiance, comme si j'étais une fliquette en train de vérifier son alcoolémie. D'ailleurs, l'inquiétude fit monter sa voix dans les aigues d'une façon plutôt comique :
— Tu es là pour t'occuper de moi, c'est ça ?
— M'occuper de vous ? Je veux surtout savoir ce que vous fichez ici, oui, rétorquai-je.
Le sorcier recula d'un pas, comme frappé d'une flèche.
— Attends, ce ne sont pas les frères Delacroix qui t'envoient ? me demanda-t-il.
Je remuai la tête.
— Désolée de vous décevoir, mais non.
Il prit le temps de scruter mon visage, sans doute pour y déceler les traces d'un mensonge. Quand il fut certain que ce n'était pas un piège, il partit d'un rire hystérique, aux accents libérateurs, qui secoua ses épaules par saccade et attira sur nous le regard perplexe de la bronzeuse et celui, bien moins aimable, de l'étudiant que nous dérangions dans son bachotage.
Gênée par son exubérance, je fis signe au sorcier de baisser d'un ton, et ce dernier finit par retrouver un semblant de calme. Il essuya une larme qui menaçait de couler de son œil droit et me dit :
— Excuse-moi, mais... quand je t'ai sentie tout à l'heure, j'ai vraiment cru que tu étais venue pour me faire la peau.
— Et pourquoi je voudrais vous faire la peau, si ce n'est pas trop indiscret ? m'enquis-je, peu amène.
Cette question eut le mérite de faire complètement disparaître son hilarité. L'homme se dandina d'une jambe sur l'autre, passant une main nerveuse sur son visage buriné.
— Euh, ce serait trop long à expliquer, marmonna-t-il.
— Mais bien sûr. Qu'est-ce que vous faites ici ? poursuivis-je, impitoyable.
— Je travaille, m'informa-t-il avec un haussement d'épaules.
— J'ai du mal à le croire.
— C'est pourtant vrai, insista-t-il.
Il plongea la main dans sa poche pour récupérer son portefeuille, dont il extirpa une carte de visite grise, d'un joli papier satiné. Il me la tendit, et je lus à voix haute :
— Hyppolyte Constantin, conseiller financier.
Un nom à consonance française : c'était généralement l'apanage des familles aisées en Espéritie.
— Mes parents ne m'aimaient déjà pas à la naissance, blagua-t-il, faisant sans doute référence à son prénom.
— Et vous travaillez ici, à Ardoirie ? l'interrogeai-je sans relever sa tentative de plaisanterie.
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Incandescence - Livre I - L'éclat de l'acier [TERMINÉ]
FantasyLe jour, Alicia est une lycéenne comme les autres ; la nuit, elle lutte sans merci contre démons et vampires dans un autre monde. Dissimulant son identité secrète à ses proches, elle jongle avec ses devoirs de math et sa mission de Chasseuse, jusqu'...