Chapitre 21 - Trahison

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Une fois à l'extérieur, je happai de longues goulées d'air, heureuse de ne plus sentir cette odeur persistante de renfermé et de poussière. Je rabattis ma capuche sur ma tête et me mis en route, récupérant dans le même temps mon portable dans mon sac. J'avais deux coups de fil en absence de Sandy. Je la rappelai aussitôt. Mon amie décrocha au bout de deux tonalités.

— Tu as terminé ?

— Oui, je vous rejoins, là, lui confirmai-je. Vous êtes où ?

— On peut se retrouver devant le glacier, si tu veux.

Je retins un éclat de rire.

— Ne me dis pas que Nika veut une glace avec le temps qu'il fait ?

— Elle en serait capable, s'esclaffa Sandy. À tout de suite.

Je raccrochai et accélérai le pas pour ne pas les faire attendre davantage. Mon sac à dos rebondissait contre mes reins, et je pouvais presque sentir les battements de cœur du grimoire qui répondaient aux miens.

Je rasai les murs jusqu'à passer de l'autre côté du fleuve, où je respirai enfin à mon aise. Je me dépêchai de rejoindre mes collègues, et un sourire joyeux naquit sur mes lèvres lorsque je les aperçus, qui papotaient tout en surveillant les alentours.

Quand elles me virent et, surtout, quand elles virent comment j'étais accoutrée, Sandy écarquilla un peu les yeux, tandis que Nika sifflait d'une feinte admiration.

— Joli pull, railla-t-elle gentiment alors que je m'approchais à grandes enjambées.

— Je n'ai pas eu le temps de me changer, prétextai-je. C'était un peu la course, ce soir.

Il était effrayant de voir à quel point la dissimulation était devenue une seconde nature. Parfois, j'avais l'impression de me perdre moi-même dans ce dédale de mensonges, et j'en étais à me demander s'il existait encore une seule personne avec laquelle je pouvais être moi-même, sans masque ni comédie.

Je me réprimandai intérieurement : ce n'était pas en s'apitoyant sur son sort que Napoléon avait conquis l'Europe (même s'il n'était pas forcément un modèle à suivre).

— Où sont les autres ? m'enquis-je en improvisant une queue de cheval sur le haut de mon crâne.

Si Sandy afficha un air contrit, Nika étouffa à grand-peine une exclamation agacée.

— À ton avis ? La Princesse de GhostValley nous a déjà faussé compagnie, m'informa-t-elle avec une grimace.

— Laurine et Cathy sont encore allées boire un verre ? fis-je, outrée.

— Pire, souffla Sandy, horrifiée. Je crois qu'elles sont allées au Sweet.

— Un mardi soir ?

Je levai les mains au ciel devant tant d'inconséquence.

Le Sweet Temptation était l'une des trois boîtes de nuit du centre. Le club avait ouvert quelques mois auparavant et rencontrait un certain succès grâce à son offre renversante de cocktails. Je savais que Laurine appréciait l'endroit, mais je n'aurais jamais imaginé qu'elle puisse pousser le vice jusqu'à oser aller danser en pleine mission.

— Elle a dit qu'elle nous rejoindrait dans une heure, tenta de se convaincre Sandy.

— Pour sûr qu'elle va le faire, la charria Nika avec un clin d'œil. Et demain, le Conseil des Maîtres-Éclaireurs décidera de doubler notre salaire. Allez, trêve de bavardage et en route.

Elle nous fit un signe de tête quelque peu démotivé, et notre patrouille, qui s'annonçait barbante à souhait, put débuter.

Nous nous mîmes à arpenter les rues désolées de la ville, nos chaussures chuintant tristement sur le trottoir. Quelques gouttes solitaires s'échappaient encore des nuages pour tomber en piqué sur nos faces moroses. L'humidité traversait mes vêtements et, couplée à ma fatigue, me faisait grelotter. Je passai distraitement ma main sur la large poche de mon hoodie, pour sentir sous mes doigts le fil de ma lame, la solidité de l'acier.

Incandescence - Livre I - L'éclat de l'acier [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant