Chapitre 25 - Promesses (1/3)

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La première chose que je fis en arrivant au cimetière de GhostValley fut de m'abriter sous un gigantesque marronnier, au large tronc grignoté par le lierre. Frissonnant dans ma robe et ma veste en jean, je me frictionnai vivement les bras dans un effort pour conserver un peu de chaleur.

À Ardoirie, un éblouissant soleil d'été s'était levé en ce dimanche, qui avait dardé ses rayons brûlants sur les jardins et terrasses où les familles s'étaient empressées de s'attabler le midi pour profiter de cet avant-goût de vacances. À GhostValley, en revanche, le ciel avait décidé de revêtir ses habits les plus sombres pour accompagner la procession funèbre. L'astre du jour se cachait derrière un océan de nuages sombres. La nuit paraissait vouloir installer dès à présent ses pans de noirceur, et un brouillard s'insinuait entre les tombes par vagues hypnotiques. Bientôt, mes jambes nues furent submergées dans son manteau froid et humide. Un temps lugubre, qui rappelait un triste jour de novembre.

J'avais tant retardé le moment de me mettre en route que je n'avais pas le temps de retourner chez moi me changer. Mon seul réconfort était d'avoir opté pour des baskets, même si leur tissu blanc, dont je prenais habituellement grand soin, était désormais taché de boue et parsemé de petites herbes humides.

J'avais longuement hésité sur ma tenue du jour, debout en serviette devant mon armoire. Chaque fois que je tendais la main vers mes habits noirs de travail, je pouvais presque entendre Nika me dire « Sérieux ? Encore du noir ? ». Une couleur qu'elle avait exécrée, elle qui avait toujours raffolé des fleurs qui pointaient le bout de leur nez au printemps et des fruits gorgés de sucre et de jus que ramenaient les beaux jours. C'était pour cette raison que je portais sous cette averse impitoyable une jolie robe verte à volants, bien trop légère pour m'empêcher de grelotter.

Repoussant mes mèches alourdies par la pluie, je songeais sérieusement à faire naître des flammes au creux de mes mains pour me réchauffer lorsqu'un faisceau de lumière jaune se dessina soudain sur l'arc en pierre de l'entrée du cimetière. Quelques secondes plus tard, un corbillard pénétrait au pas dans le parc, suivi d'un cortège de parapluies bigarrés.

J'observais sans bouger l'assemblée silencieuse remonter l'allée gravillonnée, qui crissait sous les pneus du véhicule et les chaussures soigneusement cirées. Sous la toile des parapluies, le chagrin avait creusé les traits, mais les mentons, eux, étaient relevés avec une fierté qui prenait à défi l'adversité.

À la tête du cortège, les parents de Nika, épaulés de leurs proches. Je ne les avais vus qu'en photo, mais je n'eus aucun mal à les reconnaître : outre leur ressemblance avec la disparue, un poids invisible faisait se courber leur échine. Ils se tenaient par le bras, fermement, comme pour ne pas basculer dans le précipice qui s'était ouvert à leurs pieds. Nika avait été leur unique fille. J'essayais de ne pas penser au vide béant, insurmontable, que sa disparition subite avait assurément provoqué dans leur vie.

Le cœur soudain sur le bord des lèvres, je me détournai de leurs silhouettes si fragiles qu'elles semblaient sur le point de se briser. À la place, je m'absorbai dans le défilé des autres membres de l'assemblée. Mon corps tout entier se contracta lorsque les habitants de la Moon House franchirent à leur tour les hautes grilles du cimetière. Je résistai à l'envie de me réfugier davantage derrière le tronc vibrant de vie du marronnier.

Alors que les Éclaireurs et les Chasseuses progressaient comme un seul homme, soudés dans leur malheur, un sentiment que je n'avais pas éprouvé depuis longtemps s'empara alors de moi. Là, avec mes dents qui claquaient de froid et de peur, peur qu'ils me rejettent, j'avais l'impression de ne pas être l'une des leurs.

Ce fut Michael qui me vit en premier. Il marchait aux côtés de Chloé, si près l'un de l'autre que leurs parapluies s'entrechoquaient, et que leurs bras se frôlaient. Il redressa la tête pour lui dire quelque chose, et nos regards se croisèrent par-dessus les stèles. La surprise le fit ralentir l'allure. Il hésita un peu, bouche entrouverte, mais finit par s'excuser auprès de la combattante. L'instant d'après, il zigzaguait à grandes enjambées entre les tombes pour me rejoindre dans l'intimité des branches.

Incandescence - Livre I - L'éclat de l'acier [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant