Chapitre 9 - Présage (1/2)

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Des yeux clairs, d'un bleu anthracite, profondément ancrés dans les miens. Le fil d'une lame appuyé résolument contre ma carotide. L'odeur de l'herbe sauvage et de la terre mélangée à un parfum pénétrant. La pâle lumière de la lune reflétée par un bris de verre. Et un visage ciselé éclaboussé par le sang.

C'est ta tête que je veux.

Señorita Constel, ¿quieres contestar a la pregunta?

Je sursautai sur ma chaise. La voix grinçante de ma professeure d'espagnol avait eu sur moi le même effet qu'un coup de tonnerre. En panique, je me redressai devant mon bureau et réalisai que toute la classe avait les yeux rivés sur moi. Je lus de la compassion dans le regard de certains, dont Lyse qui remuait maladroitement à côté de moi, mais d'autres élèves se réjouissaient à l'idée d'une exécution en place publique. Je piquai un fard monumental, qui n'échappa sans doute à personne, et relevai enfin mes yeux vers l'enseignante.

Debout près du tableau, Mme Aguilera tapotait le marqueur dans le creux de sa main gauche d'un geste impatient. Ses yeux noirs, grossis par ses épaisses lunettes à monture d'écailles, me fixaient sans aucune indulgence. Elle attendait visiblement une réponse, qui risquait de ne jamais venir puisque je n'avais pas entendu la question.

Mes joues me picotèrent de honte quand j'ouvris la bouche pour bafouiller :

— Euh, No... No entiendi la pregunta.

Un éclat de rire fusa dans la salle, mais je ne cherchai même pas à en déterminer la source. Je n'avais qu'une envie : transposer loin, très loin d'ici. Ou, à défaut, faire comme tout le monde et m'enfuir en courant par la porte.

Mme Aguilera émit un claquement de langue agacé et se tourna vers le tableau, où elle se mit à écrire rageusement le verbe « entender ». Le néon qui brillait au-dessus de sa tête dessinait une auréole sur ses cheveux noirs, qu'elle portait en coupe au bol, mais j'avais fini par être convaincue que Satan lui-même avait envoyé cette vieille mégère sur terre pour nous traumatiser à vie.

— Décidez-vous, Alicia ! s'exclama-t-elle, et sa colère faisait ressortir son horrible accent hispanique. No entiendo o no entendí. Ce n'est pas si compliqué, non ?

Je ne tins plus et adressai une œillade désespérée à Lyse, qui se mit aussitôt à marmonner une réponse potentielle dans sa barbe. Mais les mots qu'elle prononçait étaient inintelligibles, et Mme Aguilera avait beau être un fossile, elle n'était pas encore sourde.

Señorita Leroy, ¿tienes algo que decir a la clase? lui demanda la professeure en braquant ses loupes sur elle.

— Non, Mme Aguilera, répondit précipitamment mon amie, dont les joues devinrent aussi roses que sa trousse. J'ai juste un chat dans la gorge, algo pequeñito en la garganta, ajouta-t-elle en se raclant ostensiblement ladite gorge.

— Hm ! Alors, Mlle Constel ?

Je me ratatinai sur ma chaise comme un vieux légume abandonné dans le fond du frigo, mais il semblait que rien ne pourrait me sauver du courroux de la vieille Espagnole. Je finis par marmonner, les yeux vissés sur mon cahier tout griffonné :

— Je ne sais pas...

No me sorprende. Qui peut répondre ? Ah, oui, Marie.

Difficile de ne pas remarquer que sa voix s'était sensiblement radoucie en prononçant ce prénom. Marie recoiffa sa longue chevelure brune et prit une petite inspiration avant de déclamer toute une série de phrases alambiquées dont je compris un mot sur cinq. Je laissai mes mèches retomber devant mon visage pour masquer ma colère d'avoir été humiliée de la sorte, mais j'aperçus tout de même le coup de coude prétendument viril que Marc donna à Marie lorsqu'elle fut encensée par la prof, ainsi que le sourire satisfait que l'adolescente dirigea dans ma direction.

Incandescence - Livre I - L'éclat de l'acier [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant