Chapitre 8 - Culpabilité (1/2)

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Le ciel au-dessus de ma tête était sans nuage, d'un noir profond, et constellé d'étoiles brillantes. Comme autant de gouttes carmin sur un visage lunaire.

Mon ouïe m'avait lâchée. Le bourdonnement strident qui perçait mes oreilles vibrait si fort qu'il me rappelait le freinage d'urgence d'un train. J'en étais presque bercée. Il était si facile d'écouter ce son aigu qui masquait tout. De ne penser qu'à lui, pour ne pas réfléchir à l'image d'horreur qui s'était greffée sur ma pupille, ou au hurlement déchirant d'un homme à l'agonie. Le sifflement continu détournait même mon attention de cette sensation qui me brûlait atrocement le ventre et m'ôtait le souffle. Une impression d'échec, une culpabilité écrasante.

Non, il n'y avait plus que le ciel, et mes oreilles détraquées.

Un liquide poisseux collait mes cheveux à mon visage et à mon cou. Les mèches me tiraient quand je bougeais la tête. Une masse aux contours acérés me rentrait toujours dans le dos, et la zone endolorie se rappelait à moi par des pics de souffrance qui mettaient mes nerfs à vif. Des tréfonds de ma mémoire surgit une chanson, que ma mère me fredonnait à l'heure du coucher quand j'étais enfant. Elle avait l'habitude de caresser mon front avec tendresse et m'assurait de sa voix douce qu'aucun monstre n'était tapi dans les recoins obscurs de ma chambre.

Elle avait tort.

La voix chantante de ma mère emplissait mes oreilles lorsque je caressai distraitement ma bouche de mes doigts. Un goût métallique se posa sur ma langue, faisant se retourner mon estomac. Je mis alors ma main devant mes yeux et observai le rouge qui souillait ma peau. Et même si mes pensées s'entrechoquaient tels les flots d'une mer déchaînée, une peur instinctive me prit aux tripes.

Soudain, j'entendis un cri. Un cri étouffé, aux mots inintelligibles, comme s'ils me parvenaient à travers l'eau. Puis, le sol bascula sous moi, et le décor tangua comme sur un bateau ivre. Le ciel fut caché à ma vue, et le sifflement s'évanouit.

— Alicia, debout !

Quelqu'un me relevait de force, mais mes jambes mal assurées tremblaient trop pour soutenir mon poids.

— Dépêche-toi, elle va mourir ! MAGNE !

Je trébuchai, mais l'étau sur mes bras ne se desserra pas. Un nuage de poussière se souleva quand je fus littéralement traînée au sol, mes genoux raclant douloureusement contre les petits cailloux. Bientôt, on me plaça devant du sang. Une mare de sang. Il y en avait tellement que je ne discernais plus la peau cireuse sous le liquide écarlate. Pétrifiée, je ne pouvais en détacher mes yeux, alors que la fille gémissante allongée devant moi ne bougeait presque plus.

Mon visage bascula brutalement sur le côté, et une douleur cuisante se propagea sur ma joue.

— Réveille-toi, Alicia, MERDE !

Effleurant du bout des doigts ma peau lancinante, je remarquai enfin Laurine, qui me fixait avec une expression de fureur et de désespoir qui agit sur moi comme un électrochoc. Mon regard se reporta aussitôt sur Cathy. Elle avait perdu connaissance, et ses lèvres exsangues laissaient passer un souffle court, beaucoup trop rapide. La blessure causée par la flèche de Sandy me sauta aux yeux. Il fallait faire vite.

J'apposai mes mains sur la plaie suintante, et le sang sombre et chaud me mouilla la peau. Je fis de mon mieux pour calmer les battements précipités de mon cœur. De mes mains jaillit peu à peu une lumière dorée, aux reflets couleur de miel, preuve que le processus de guérison était en marche.

— J'ai appelé une ambulance, nous informa Sandy. Et Frédéric arrive.

Sa voix vacillait tant que je lui jetai un coup d'œil préoccupé. Un instant seulement, je perdis le fil de mon opération, faisant s'évanouir la lumière qui rayonnait de mes mains. Laurine étouffa un cri de colère et me pinça méchamment le bras, me suppliant de me concentrer. Elle tenait fermement la main de Cathy dans la sienne, et des larmes dévalaient la pente douce de ses joues. C'était la première fois que je la voyais pleurer, et sa détresse m'émut plus que je ne l'aurais imaginé. Je rassemblai mes esprits et, quelques minutes plus tard, la blessure de Cathy était refermée. Cependant, elle avait perdu trop de sang, et je ne pouvais rien faire contre cela.

Incandescence - Livre I - L'éclat de l'acier [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant