La voiture crapahuta et manqua de caler quand Frédéric s'arrêta devant l'hôtel auquel notre client nous avait donné rendez-vous. J'échangeai un regard atterré avec Nika, mais quand je vis le voiturier considérer mon chef avec une moue incrédule, j'eus tout simplement envie de disparaître dans mon siège. Si mon père était le Fernando Alonso du quartier, Frédéric me donnait envie de faire mes prières chaque fois que je montais à bord avec lui. Feux orange bien mûrs et queues de poisson se succédaient à un rythme effréné, et le cas pathologique ne s'arrangeait pas en pleine heure de pointe. En somme, c'était toujours un miracle lorsqu'on arrivait à destination.
Je sortis de la voiture et fus accueillie par le vrombissement des moteurs et quelques coups de klaxon agressifs, qui éclatèrent dans le lointain. L'air frais du début de soirée fit voler mes cheveux attachés en queue de cheval.
L'hôtel se tenait sur un coin de l'avenue la plus empruntée de la ville. Je levai la tête pour observer la façade. Le soleil enflammait encore le ciel de longues traînées rouges, mais des dizaines de spots lumineux éclairaient déjà la pierre blanche de la bâtisse et les balcons chargés de pivoines. Deux lanternes noires encadraient l'imposante porte-tambour cintrée de métal doré, et une petite plaque indiquait : Royal Hotel. Le client ne connaissait visiblement pas les fins de mois difficiles : il avait choisi l'établissement le plus coté de la ville.
Un claquement de portière me fit tourner la tête. Jack, l'Éclaireur-adjoint de notre maison, s'était garé derrière nous, et le reste de l'équipe sortait de son coupé : Sandy, Cathy et... Laurine.
La blonde, mission privée oblige, avait revêtu une tenue réglementaire d'un noir si profond que ses cheveux en paraissaient blancs. Elle arborait l'air sérieux qu'elle prenait toujours en présence de Frédéric – yeux plissés et bouche froncée façon James Bond girl – et qui me donnait envie de crier à la publicité mensongère. D'ailleurs, lorsqu'elle passa à côté de moi pour rejoindre notre chef, elle ne put s'empêcher de me glisser :
— Avec toi dans l'équipe, le client ne va pas faire long feu.
Chassez le naturel... pensai-je.
Je lui emboitai le pas. Son parfum capiteux me donnait déjà mal à la tête.
— Je ne me fais pas de souci, contrai-je avec un sourire mielleux. Je sais qu'en cas de problème, tu seras toute disposée à montrer tes nibards au démon pour faire diversion, le temps qu'on évacue.
— Effectivement, ce n'est pas toi qui risques de montrer quoi que ce soit.
Elle pénétra alors dans une aile de la porte tourniquet et m'adressa une expression éloquente de l'autre côté de la vitre, les yeux rivés sur ma poitrine. Je pris quelques inspirations pour calmer mes nerfs avant d'entrer à mon tour.
Le luxe du hall immaculé me laissa bouche bée, et je fus éblouie par le sol en marbre clair qui renvoyait l'éclat des lustres chatoyants. Un homme en costume, qui lisait un journal sur une banquette de velours vert, releva la tête à notre entrée. Il ne put s'empêcher de fixer nos cinq silhouettes noires alors que nous nous dirigions vers l'accueil. Nous donnions effectivement l'impression que des anges de l'enfer avaient décidé de faire un tour au paradis.
J'observai avidement les alentours. Un escalier, dont la rambarde en fer forgé formait des entrelacs, menait au premier étage ainsi qu'à une boutique au sous-sol, et des bouquets de fleurs exotiques juchés sur des piliers formaient une allée jusqu'à l'accueil. Mais je m'attardai sur un autre détail : les deux hommes taillés comme des boxeurs, vêtus d'un costard noir et d'une chemise blanche, qui surveillaient d'un œil peu amène les allées et venues des clients.
Jack rejoignit Frédéric au comptoir, où une réceptionniste coiffée d'un chignon stricte leur parla aussitôt à voix basse. Le jeune homme de vingt-six ans recoiffa avec flegme ses cheveux blonds. Son visage aux traits saillants, qu'un sourire venait rarement illuminer, ne passait pas inaperçu, et si plusieurs filles de la maison le trouvaient follement sexy, ce n'était pas mon cas.
VOUS LISEZ
Incandescence - Livre I - L'éclat de l'acier [TERMINÉ]
FantasiaLe jour, Alicia est une lycéenne comme les autres ; la nuit, elle lutte sans merci contre démons et vampires dans un autre monde. Dissimulant son identité secrète à ses proches, elle jongle avec ses devoirs de math et sa mission de Chasseuse, jusqu'...