Sur le seuil de la porte, la sorcière se tient droite, sans bouger, son regard dure braqué sur nous. Je lâche la boule-de-neige que je tenais dans ma main gelée. Un froid glacial me saisit les entrailles. Un frisson traverse mon dos, mes épaules se crispent, mon corps se met à trembler, ma respiration s'accélère, mon cœur palpite, j'ai envie d'éclater en sanglots et de me cacher loin d'ici. Pendant un instant, j'ai tout oublié, la faim, la douleur, la fatigue... Mais j'ai surtout oublié ou je me trouvais...
Elle descend lentement les quelques marches, se rapprochant de nous. Ses petits yeux noirs perfides nous dévisagent un par un. Lorsqu'ils rencontrent le mien, j'ai le souffle coupé. J'aimerais partir en courant, mais je n'y arrive pas, mes jambes semblent figées dans la glace. Autour de moi, certains enfants éclatent en sanglots et poussent des petits cris plaintifs, terrifiés.
— Qu'est-ce qu'il se passe ici ?
Son regard se braque sur Charles, le plus vieux des garçons. Décontenancé, il s'écrie paniqué :
— C'est Gaétan et Julien ! C'est de leur faute, ce sont eux qui ont commencé.
La sorcière se tourne vers les deux garçons. Julien baisse la tête, Gaétan déglutit en bombant le torse et soutenant son regard.
— On n'a rien fait de mal.
La directrice se rapproche d'un pas.
— On... On n'a rien fait de mal...
Encore un pas.
— On-on... On ne voulait rien faire de mal...
Encore un pas.
— Je suis désolé ! s'écrie-t-il d'une voix tremblante, au bord des larmes. C'est de ma faute, mais je suis désolé !
— Non, intervient Julien, c'est moi qui ai déclaré la guerre, c'est de ma faute à moi, je voulais juste rire !
— Une guerre ? Croyez-vous qu'une guerre soit amusante ?
— N-non... On voulait juste...
— On voulait se battre comme son père, enchaîne Gaétan, être des héros de guerre comme lui.
— Un héros ? rit la sorcière de manière méprisante. Qui t'a dit une pareille sottise ? Ton père n'était qu'un lâche, claque-t-elle d'une voix glaçante.
— Non... Mon père était-
— Ton père a été exécuté pour couardise !
Julien écarquille les yeux de stupeur, la bouche ouverte, choqué.
— Ce n'était qu'un lâche qui a abandonné ses camarades à une mort certaine !
— Non, c'est faux...
— Oh, que tu peux être stupide, mon garçon... Ton-
— Vous mentez ! s'écrie Gaétan. Vous n'êtes qu'une sale menteuse ! Julien se souvient très bien de son papa, il sait qui il était ! S'il dit que c'est un héros, alors c'est un héros ! Vous n'êtes qu'une ment-
La directrice fait taire Gaétan d'une gifle qui le fait tomber au sol. Des gouttes de sang tachent la neige immaculée. Imperturbable, le garçon fixe la sorcière de manière féroce.
— Des souvenirs ? Il n'avait que deux ans quand son père est parti au front, quels souvenirs crois-tu qu'il en a ? Une image inventée de toutes pièces dont il s'est convaincu pour mieux dormir la nuit. Mais ça ne m'étonne pas de toi, Gaétan, croire ses contes de fées te permet sûrement d'oublier que tes propres parents ne t'aimaient pas.
— C'est faux ! Mes parents sont morts dans un accident de voiture, ils ne m'ont pas abandonné !
— Oh, si, ils l'ont fait. Ils ont préféré aller en soirée plutôt que de s'occuper de toi. Et tu penses qu'ils t'aimaient vraiment ? Tu n'étais qu'un poids pour eux. Ils auraient préféré que tu n'existes pas, tu n'es qu'une erreur, ils auraient été tellement plus heureux sans toi.
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La petite orpheline
Ciencia FicciónLorsque l'on est une jeune orpheline en 1922, la vie est loin d'être un jeu d'enfant. Surtout, quand on habite dans un orphelinat où la règle principale est le silence. Où il est défendu de jouer et de rire. Où les enfants sont cloîtrés en attendant...