Je m'étire tout en réprimant un bâillement du dos de ma main, fatiguée par toutes ces corvées qui n'en finissent pas. Je pousse un long soupir en attrapant les hanses de la lourde panière en osier débordante de linge sale devant moi, et me dirige vers le fond de la cour arrière pour le donner aux groupes de filles qui le laveront.
J'avance péniblement jusqu'à mon but en rêvant d'un monde où les corvées n'existent pas. Ce serait tellement merveilleux si on avait plus besoin de travailler, si nous pouvions juste nous reposer et jouer toute la journée... Mais avec la taille de l'orphelinat et le nombre de personnes qui y vivent, c'est impossible, chaque jour qui passe il y a une montagne de linges à laver, de la poussière à nettoyer et des choses à ranger.
Je m'arrête à bout de forces et pose la panière par terre pour secouer mes bras douloureux et reprendre mon souffle. J'essuie mes mains rouge vif et moites de sueur sur ma robe avant de souffler dessus pour apaiser la brûlure procurée par la corde des poignées qui me lacère les paumes. Le panier est plus lourd que moi, je pensais que je pourrais la prendre seule, mais je ne suis pas assez forte. Ce n'est que la cinquième que je transporte et je n'en peux déjà plus. J'ai l'impression qu'on est en train de me frapper dans la tête, j'ai tellement sommeil...
Mais je n'ai pas le droit d'arrêter, si je ne le fais pas, je serais punie et tout mon groupe sera privé de nourriture. J'essuie péniblement la sueur sur mon front en gonflant mes poumons d'air pour me donner du courage. En me penchant vers la bassine, j'ai l'impression de tanguer, ma vision se trouble et mon ventre me fait mal à cause de la faim. Sentant que mes jambes me lâchent, je m'agenouille et ferme fortement les yeux pour reprendre mes esprits.
— Aller du nerf, Élia ! rit une voix moqueuse que je reconnais que trop bien.
Je relève la tête et voix Gaétan marcher vers moi, suivie de près par Julien tenant deux râteaux dans ses mains. Lorsqu'il voit mon visage son sourire s'efface.
— Ça va pas, Élia ? demande-t-il en fronçant le sourcil l'air inquiet.
Je hoche la tête lentement.
— Si si, je suis juste fatiguée, c'est un peu lourd...
Sans dire un mot, il attrape le panier de linge et le soulève en se reculant.
— Eh ! m'écrié-je surprise. Mais qu'est-ce que tu fais ?
— Bah, je t'aide, dit-il en haussant les épaules comme si ma question était idiote. On dirait que tu vas tomber dans les pommes !
— C'est vrai que tu as l'air fatiguée, enchaîne Julien en m'attrapant sous l'aisselle pour m'aider à me mettre debout avant de frapper ma robe pour enlever la poussière, on peut t'aider un peu si tu veux.
Leurs gentillesses me surprends, et me touchent beaucoup en même temps. Ils peuvent être tellement pénibles parfois, qu'on en oublie presque qu'ils sont aussi capables de bienveillance. Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire du bout des lèvres avant de secouer la tête. Je ne peux pas accepter leurs aides, les autres me traiteraient de faible, comme c'était le cas lorsque Mathilde le faisait.
— C'est gentil, mais je peux le faire seule, dis-je en reprenant le panier des mains de Gaétan. J'ai l'habitude.
Surpris, Gaétan hausse les sourcils d'incompréhension et met quelques secondes à réagir.
En lui arrachant les poignées des mains, je peux voir qu'elles sont encore plus abîmées que les miennes. Malgré les lavages, il a toujours de la terre incrustée dans la peau et dessous les ongles, et elles sont couvertes d'égratignures et de coupures à plusieurs endroits, surtout sous les paumes et les doigts. Mon regard passe sur celles de Julien qui sont dans le même état. Mon cœur se serre en imaginant la douleur qu'ils doivent avoir. Quand ils voient mon regard peiné, il les cache rapidement dans ses poches et dit en souriant :
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La petite orpheline
Science FictionLorsque l'on est une jeune orpheline en 1922, la vie est loin d'être un jeu d'enfant. Surtout, quand on habite dans un orphelinat où la règle principale est le silence. Où il est défendu de jouer et de rire. Où les enfants sont cloîtrés en attendant...