Chapitre 25

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Soulagée d'avoir enfin fini mes corvées pour aujourd'hui, je m'étire pour détendre mes muscles douloureux et dépose mon seau et ma brosse dans un des placards près de la porte. J'ai passé une bonne partie de l'après-midi à nettoyer le carrelage de la salle d'eau des filles. À force d'être à quatre pattes, mes genoux et mon dos me font souffrir, et à cause de l'eau et du savon, mes doigts sont endoloris, j'arrive à peine à fermer le poing. Je masque un bâillement avec le dos de ma main rougi, en m'engouffrant dans le couloir. Je soupire, heureuse d'avoir le temps de m'isoler avant l'heure du dîner.

Alors que je passe devant le dortoir des filles, je croise une des grandes chargée de nous surveiller, les bras charger de draps propres.

— Eh, toi ! m'interpelle-t-elle sèchement quand je passe à côté d'elle. Prends ça et va les emmener dans la chambre, ordonne-t-elle en me mettant tous dans les bras. Et dépêche-toi !

Surprise, je manque de tout faire tomber et mets plusieurs seconds à comprendre ce qu'il se passe. Reprenant mes esprits, je me tourne vers elle pour lui demander pour quoi faire, mais elle a déjà disparu. Sachant que je n'ai pas le choix, je soupire de lassitude en me dirigeant vers l'endroit indiqué.

En entrant dans la pièce, mon souffle se coupe et mes jambes se figent en voyant Renée et deux de ses amies autour du lit de Thérèse. Sans remarquer ma présence, elles enlèvent les draps sales tout en discutant. Mes yeux commencent à me piquer en comprenant ce qu'il se passe. Cela fait deux mois que Thérèse est morte, la chaleur de l'été à laisser place à la froideur de l'automne, les garçons ont terminé la moisson et la vie à continuer son cours comme si de rien était, comme si Thérèse n'avait jamais existé. Toutes ses affaires ont déjà été réattribuées, il n'y avait que son lit qui était resté tel quel. Mais désormais il ne restera plus aucune trace qu'un jour une petite fille rousse nommée Thérèse ait vécue ici.

— Élia ! s'écrie Renée en m'apercevant les sourcils froncés, ne reste pas plantée là, donne-nous les draps ! Et qu'est-ce que t'as à nous regarder avec tes yeux de merlan frit ?

Ses amis pouffent de rire comme des idiotes.

— C'est le lit de Thérèse, dis-je d'une petite voix en m'approchant.

— Non, ça l'est plus, répond une des filles en haussant les épaules, maintenant, c'est à une petite des bébés qui vient ici.

— C'est pas comme si elle en aura encore besoin de toute façon, s'esclaffe Renée, faisant rire ses amies.

Je ne peux empêcher l'eau de déborder de mes yeux et couler le long de mes joues en les entendant parler. Comment peuvent-elles parler de la mort de quelqu'un de manière aussi détachée ? Ce n'était pas n'importe qui, c'était Thérèse, on la connaissait tous ! Je n'arrive pas à comprendre pourquoi elles se montrent toujours aussi méchantes et indifférentes pour les autres.

— Ne me dis pas que tu pleures, glousse une des filles avec un petit sourire en coin.

D'un geste vif, j'essuie mes joues avant de détourner la tête.

— Oh, arrête de jouer la comédie, se moque Renée, je ne crois pas t'avoir vue pleurer ou même être triste pour Thérèse pendant les deux derniers mois ! Tu fais la bonne sainte, mais en vrai tu t'en fiche, comme tout le monde.

— Ouais, en même temps, qui en a quelque chose à faire de la mort d'un fantôme ils sont déjà morts. Tu fais que ton intéressante.

Des larmes se remettent à couler sur mes joues, leurs paroles me poignardent en plein cœur. Même si ça me fait mal de l'avouer, elles ont raison, à moi non plus Thérèse ne me manque pas. J'ai toujours une boule au fond de moi qui me rappelle que tout est de ma faute. Parfois, la nuit, je revois son visage vide et couvert de sang dans mes cauchemars, mais je me rends compte que ne plus la voir ne m'attriste pas. Pire encore, je suis même soulagé, car ainsi, je n'ai plus à m'en préoccuper et à me sentir mal pour elle, c'est comme un poids qui s'est libéré de moi. Toutes ses pensées me donnent la nausée, j'ai toujours détesté les personnes comme Renée ou Charles qui se montraient indifférents aux souffrances des autres, mais en fin de compte, je suis pareil... Je suis une personne égoïste et cruelle, je mérite de me sentir coupable. Je mérite d'être hanté par Thérèse la nuit, c'est ma punition pour n'avoir rien fait pour elle. Mais le plus douloureux, c'est que je me dis que moi aussi, si je meurs, aucun de mes camarades ne me pleura, même Adeline, Hortense, Albin et les autres m'oublieront rapidement...

La petite orphelineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant