Comme tous les matins, je suis réveillée par la voix aiguë de la surveillante qui nous ordonne de nous préparer en vitesse. De manière mécanique, je m'assieds, les yeux encore collés par la nuit. Tout en me les frottants, je retire la fine couverture et me lève. Un frisson me parcourt quand le froid caresse ma peau. Je déteste l'hiver.
— Wouha ! s'écrie joyeusement une petite fille. Vous avez vu dehors ! Il a neigé !
— On sait, râle une autre enfant, il neigeait déjà hier.
— Mais là c'est tout blanc, tout blanc ! On voit même plus le sol !
Intrigué, je me lève et contourne mon lit pour me rapprocher de la fenêtre. J'essuie la buée sur un des carreaux et colle mon front pour mieux voir. Dehors, un épais tapis blanc recouvre le sol. La lueur de la lune se reflète sur cette neige immaculée, elle semble briller.
— On dirait qu'on est sur un nuage, murmure une enfant à côté de moi.
Je hoche la tête.
— Que faites-vous ? hurle la surveillante. Allez vous préparer, exécution ! On vous serez toutes punis !
À contrecœur, je me détache de ce paysage féerique et suis les autres vers la salle d'eau.
L'air y est glacial. Un courant d'air me fait frissonner et claquer mes dents. Pour tenter de me réchauffer, je rentre mon cou dans mes épaules et souffle sur mes mains frigorifié. Je m'approche d'un des robinets, qu'Adeline essaie déjà d'ouvrir. Mais rien ne sort.
— Madame, y a plus d'eau, s'exclame une fillette.
La surveillante bougonne et se dirige vers un des robinets, essaie de le tourner dans tous les sens, en vain, elle se relève et marmonne un juron.
— C'est encore l'eau qui a dû geler dans les canalisations, Madame, intervient Louise.
— Je sais, coupe la surveillante d'une voix claquante. Tu me prends pour une idiote peut-être ?
Louise secoue la tête avant de détourner le regard. La surveillante lui lance un regard d'avertissements avant de se retourner et déclarer :
— Bien, tant pis, habillez-vous et ensuite descendez, vous ne vous laverez pas aujourd'hui.
Je soupire, soulager. Toutes les filles autour de moi commencent à se déshabiller. Je m'apprête à les imiter quand je vois les marques sur le dos de la fille à côté de moi. Je frissonne. Ces traces me rappellent les miennes. Je me tourne vers le miroir pour observer mon dos. Je me mords la lèvre en voyant les deux grosses cicatrices boursouflées qui me traversent des épaules aux reins et les deux plus petites dans l'autre sens. Toutes les autres ont disparu, mais celles-là ne partent pas...
Je relève la tête et balaie la salle des yeux, éclairés par la lumière bleuter de la lune encore haute dans le ciel, le corps de mes camarades maigre et blanc ressemble à des fantômes hantant l'orphelinat à la recherche de corps à posséder pour un jour avoir la chance de vivre une vie heureuse. Est-ce que je fais moi aussi partie de ses fantômes ? Parfois j'en ai l'impression... Je ne suis qu'une ombre vivant ici sans but, obéissant aux ordres sans avoir une chance de m'échapper...
Lorsqu'une fille me bouscule, je sors de ma rêverie, me dépêche de m'habiller et sort avec les autres en file indienne jusqu'au réfectoire.
Après le déjeuner, alors qu'on se lève pour débarrasser notre assiette, la directrice nous interpelle :
— Attendez. Exceptionnellement il n'y aura pas classe aujourd'hui. Votre instituteur n'a pas pu se présenter à son poste à cause des intempéries.
Un murmure de soulagement se propage parmi les enfants.
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La petite orpheline
Science FictionLorsque l'on est une jeune orpheline en 1922, la vie est loin d'être un jeu d'enfant. Surtout, quand on habite dans un orphelinat où la règle principale est le silence. Où il est défendu de jouer et de rire. Où les enfants sont cloîtrés en attendant...