Prologue

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31 Octobre 1680, Connemara,

La nuit est tombée. Il n'est pas si tard mais à cette époque les journées sont déjà bien courtes. C'est une nuit sans lune, une nuit noire...Le vent s'est levé, glacial, il vient de la mer apportant avec lui les prémices d'une tempête.

Sur la lande, juste une faible lueur émanant d'une petite chaumière, isolé du reste du monde. Depuis l'unique fenêtre, juste une image, celle d'une femme assise, vêtue d'une longue chemise en laine blanche. Tenant dans ses mains un crucifix et comme hypnotisée par la flamme d'une bougie lui faisant face, elle prie. Des larmes coulent sur son visage marqué par la vie, le labeur et la douleur.

Elle parle en gaélique et chaque prière se termine par ces quelques mots, « Tha gao agam ort Molly » ...

Lentement, la femme se lève. Ses épaules sont voutées, elle semble épuisée. La main tremblante, elle prend une cruche, et non sans mal, tente de la déverser dans une petite écuelle. Elle se fige quelques instants, les yeux clos puis prenant une profonde inspiration, elle se saisit du réceptacle, sans trembler cette fois. Elle se dirige vers la porte. S'apprête à l'ouvrir mais laisse son geste en suspens. Elle hésite, l'émotion est trop intense. Les tremblements reprennent si fort qu'une partie du liquide fini à ses pieds. Résignée, elle finit par tourner la poignée. Le vent s'engouffre d'un coup dans la pièce, ne laissant aucune chance à cette bougie restée seule à table. Insensible à son attaque et sans fléchir, elle livre rapidement le récipient à ce sol glacé et balayé par un vent indomptable. Elle scrute la nuit quelques instants puis s'en retourne. La porte se referme. Cette fois nulle lueur émise par la chaumière, il n'y a que les ténèbres, le vent...et un cri strident qui vient se mêler à la tourmente.

La nuit est pleine de secrets, de mystères et cette nuit-là, ils sont ressortis des profondeurs où ils étaient enfouis.

1er novembre 1680, Leenane

Ce jour-là, Andrew O' Sullivan avait décidé de rendre une petite visite à Mary O'Malley. Pour lui, elle était une pauvre femme que la vie n'avait pas épargnée. Il y a trois ans, elle perdit son mari. Tout comme bon nombre de pêcheur, ce dernier avait péri en mer, victime à son tour d'une météo capricieuse. Puis, l'an dernier à la même période, sa fille, Molly, âgée de huit ans, disparu d'une manière très mystérieuse. Andrew se souvenait de la grande battue qui s'en suivi. Il y avait pris part, comme beaucoup d'amis, de voisins, de connaissances. Ils avaient cherché partout, sur la lande, dans les bois, les vieilles granges... celle-ci dura plusieurs jours, plusieurs nuits mais cela ne donna rien. Aucune trace de l'enfant ne fut retrouvée, aucun indice ne fut trouvé... Finalement il fut admis et conclu que l'enfant s'était sans doute noyée dans le fjord, même si le lac n'avait jamais rendu son corps ou bien qu'elle était tombée de la falaise, déséquilibrée par le vent, les vagues s'étant chargées de son linceul.

Autant la première fut horrible, autant cette deuxième perte fut le coup de grâce pour Mary, elle ne s'en remit jamais. Andrew se demandait comment elle faisait pour tenir le coup et ne pas sombrer dans la démence. La vie était si dure pour une femme seule. Bien qu'elle eût de nombreux prétendants, dont il faisait partie d'ailleurs, elle ne voulut jamais se remarier. Andrew était un homme d'un certain âge, ses cheveux, jadis aussi noirs que l'ébène, avaient pris la couleur des nuages par un temps d'orage. Son visage n'était cependant pas dépourvu de charme et puis c'était un homme bon et courageux. Le travail ne lui faisait pas peur. Il était prêt à offrir à Mary toute la sécurité qu'elle méritait.

Andrew quitta le vieux pub de Leenane, idéalement situé face au fjord, puis décida de suivre le chemin qui menait à la lande et aux falaises. En approchant de la maison, il fut surpris de ne pas trouver Mary dans son jardin, comme à son habitude, et curieusement, une étrange sensation s'empara de lui. Un sentiment d'angoisse l'oppressa. Il avança jusqu'à la porte mais avant de frapper, il remarqua, à ses pieds, la présence d'un récipient brisé en plusieurs morceaux. De nouveau, l'angoisse le saisit et elle fut à son comble lorsqu'il se rendit compte que la porte était entrouverte. Les mains devinrent moites, la tension de plus en plus intense... Du bout des doigts, il poussa un peu plus la porte, qui l'accueillit d'un grincement sinistre et inquiétant.

Il lui fallut quelques instants pour se familiariser à cette obscurité, régnant en maître dans la chaumière. Aucun bruit, aucune lumière, toute trace de vie semblait avoir fui...Il crut distinguer le cadavre d'une table, a demi renversé contre un mur, puis les squelettes désossés de quelques chaises, le tout semblait former un cortège... Sa progression dans la demeure lui parut une course d'obstacle. A chaque pas un craquement se faisait entendre, où ses pieds heurtaient l'inconnu. Un combat avait eu lieu entre ces quatre murs, il en était convaincu. Il avança encore de quelques pas, puis son pied buta à nouveau... Il manqua de perdre l'équilibre. Il chercha des yeux, son regard s'était habitué à l'obscurité, et distingua une forme étendue sur le sol. Mary gisait là, juste à ses pieds, vêtue d'une longue chemise de laine blanche. Une bouche grande ouverte et des yeux fixant un point invisible, donnait à son visage une expression de terreur. Ses cheveux roux avaient pris la teinte de sa robe et ses mains tenaient un crucifix. Sa peau était livide voire diaphane... On eut dit un fantôme

Andrew se jeta contre ce corps avec l'espoir insensé d'y percevoir un souffle de vie. Une peau glacée ainsi qu'un cœur à l'arrêt le ramena rapidement à la réalité. Il était vain d'espérer. Mary était morte. La panique prit alors possession de lui. Que penserait-on si quelqu'un venait à passer par là et le trouvait assis près du cadavre de la pauvre femme ? Il pensa soudain qu'il devait partir très loin de cet endroit mais il n'en fit rien...Il demeura tout près de Mary, baissa doucement ses paupières...Puis, il s'adressa à elle à voix haute comme si cette dernière pouvait encore l'écouter :

« Tu peux enfin te reposer Mary. Là où tu es maintenant, ils te laisseront tranquille. Paix à toi douce et courageuse Mary ».

Mary O'Malley fut mise en terre le 2 novembre 1680 dans le vieux cimetière de la petite bourgade de Leenane. Sur sa tombe il y avait une petite écuelle contenant un peu de lait ...A proximité, deux autres tombes : celles de John et Molly O'Malley. Sur la stèle de l'enfant on pouvait lire, gravé dans la pierre, « Caillte i riocht na tailli » ce qui signifie « Perdu dans le royaume des fées »


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