Chapitre 36

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Dale entra silencieusement dans la chambre de Kara. Une infirmière était en train de remplacer une poche de sang vide reliée par un long tuyau translucide fiché dans son bras gauche. Puis elle posa une perfusion de Voluvene, un succédané du plasma, sur le goutte-à-goutte installé à sa droite. Sa poitrine se soulevait au rythme du respirateur artificiel dont le tube d'intubation envoyait de l'oxygène dans ses poumons. Il ne connaissait pas grand-chose de la médecine moderne, juste assez pour savoir que sans cet appareil qui remplaçait momentanément son organe endommagé, elle était incapable de respirer. Il ne pouvait s'empêcher de fixer l'électrocardiogramme. Le coeur de Kara battait régulièrement, ce qui le soulageait un peu.

Il essaya d'oublier les sons et les odeurs pour se focaliser sur elle. Il vint s'asseoir auprès d'elle et saisit sa main glacée. Une boucle argentée caressait son front. Délicatement, il la repoussa du bout des doigts. Ce contact ne déclencha aucune réaction. Ses longs cils ombrant ses paupières restaient immobiles. Il soupira, accablé. Jamais encore il n'avait connu un tel chagrin et pourtant il en trainait un lot impressionnant. Les regrets l'assaillaient sans cesse.

La voir si pâle et si fragile lui déchirait le coeur. Allongée sur ce lit aux draps blancs, elle avait tout d'une apparition irréelle. Une boule d'angoisse lui nouait la gorge et il se sentait minable, impuissant à soulager ses souffrances. Il ferma les yeux une seconde, tentant de contrôler les larmes amassées sous ses paupières. Cela faisait tellement de siècles qu'il n'en avait versé, ni même montrés de faiblesse devant les autres.

Un chef de clan ne pleure pas. Un chef de clan se doit d'être impassible en toute circonstance. Un chef de clan est l'exemple à suivre, se répéta-t-il. Or ses responsabilités, ce poids sur ses épaules pesait une tonne. S'il n'avait pas suivi ses règles stupides, s'il avait simplement écouté son coeur et non sa sacro-saint raison, il ne serait pas assis ici en souffrant le martyr. Au fond, il avait toujours su que l'amour était capable du pire comme du meilleur. Voilà pourquoi il l'avait tant redouté au cours de son existence.

L'amour faisait mal, mais il rendait également plus fort. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il rencontra le regard compatissant de l'infirmière. La colère était encore là, tapie dans son coeur et lire cette émotion dans les yeux d'un autre être humain, manqua de le faire hurler. Il ne voulait pas que l'on s'apitoie sur lui. Il préférait de loin les cris, la colère et même la haine à ce déferlement silencieux.

– Elle vient de franchir le chemin le plus difficile. Il faut lui laisser un peu de temps et ne jamais cesser d'espérer, dit-elle gentiment.

Il acquiesça et riva son regard sur Kara. Quand l'infirmière sortit de la chambre, il ne remarqua rien. Chaque fibre de son être était rongée d'inquiétude. Sa gorge était si douloureusement nouée que les mots si longtemps retenus ne parvenaient pas à s’échapper de sa bouche. Inconsolable, il s'effondra dissimulant son visage dans le drap couvrant le corps de Kara. Des larmes ruisselaient le long de ses joues. Il ne songeait même pas à les essuyer, laissant libre cours à son chagrin. Son coeur saignait, son âme hurlait, sa bête feulait, faisant écho à l’immensité de sa peine. Elle aussi craignait de la perdre et elle ne concevait pas la vie sans elle. L'homme et la bête ne faisaient au final qu'un seul être. Ce chagrin les dévorait de l'intérieur. Son unique désir était de vivre auprès d'elle, de l'aimer sans condition, d'avoir la famille dont il avait toujours inconsciemment rêvé.

– Bas-toi, ne m'abandonne pas ! Je ne veux pas redevenir celui que j'étais avant notre rencontre. Cet être froid et orgueilleux... Malgré mes défauts, tu as su voir en moi des qualités que je ne soupçonnais même pas. Tu dois te réveiller. Tu dois me revenir, a milis...

Soudain, les doigts de Kara pressèrent doucement les siens. Était-ce un effet de son imagination ? Elle allait enfin ouvrir les yeux. Mais la réalité était bien plus cruelle. Ses paupières restaient obstinément closes. Peut-être l'entendait-elle. Il lui donnerait tout, sa force, ses pouvoirs, sa vie afin qu'elle revienne. Il voulait de nouveau voir son sourire illuminer son visage, sentir sa chaleur le réchauffer. Il caressa sa joue et l'embrassa tendrement sur le front. Bien qu'il ne désirait pas la quitter, il se leva et observa son visage, gravant chaque trait dans son esprit. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Non, elle ne mourrait pas, il ne le permettait jamais, dut-il affronter les dieux et tous les démons de l'enfer, elle ne mourrait pas.

Sombres Héritages-1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant