Sombres Héritages-1

Chapitre 54

Son épée serrée dans sa main, Dale descendit les marches conduisant au sanctuaire. La brise glaciale s'engouffrait dans les mèches de jais encadrant son visage, animé d'une rage meurtrière. Ses pas résonnaient sur les graviers, les feuilles des arbres bruissaient simultanément avec le hululement des chouettes brisant le silence macabre. Son souffle formait des volutes de fumée, mais il ne ressentait pas la morsure du froid. Son sang brûlait dans ses veines et la haine si familière prenait un peu plus d'ampleur à mesure qu'il progressait vers l'être honni.

Le passé, le présent, tout se mélangeait dans son esprit. Il sentait encore le sang éclabousser son visage, son odeur métallique, son empreinte acide sur sa peau. L'écho des coups de fouet zébrant son dos et sa poitrine, claquait inlassablement en lui. La violence des coups de poings s'abattant sur son visage, lui cassant le nez et fendillant ses lèvres, tout était aussi réel, que sept cent trente-sept ans plus tôt.

Ces souffrances, jamais il ne les avait oubliés. Elles étaient profondément encrées en lui. Il serra les dents à s'en décrocher la mâchoire. Ces insultes vinrent danser en lettre de feu devant ses yeux, annihilant le peu de raison qu'il lui restait encore.

Tu es qu'une mauviette. Une larve pleurnicheuse et pathétique. Regarde-toi misérable gamin, tu trembles devant moi. Tu n'es pas digne d'être mon fils. Tu n'es pas digne de me succéder un jour. Le sang qui coule dans tes veines n'est que poison. J'aurais dû te tuer à la naissance ! Un monstre, tu es un monstre.

Un rugissement s'échappa de sa gorge et ce son n'avait rien de comparable avec un bruit humain. La bête en lui, hurlait à l'évocation de ses souvenirs. Elle avait soif de sang, soif de vengeance après toutes ses années de calvaire. Aujourd'hui, il n'était plus question de pitié, Doryan ne la méritait pas, ne l'avait jamais mérité. Il avait choisi sa voie, il avait délibérément agi en connaissance de cause.

La loi du clan, la loi des Drakions étaient ainsi faites. La trahison était un crime impardonnable, qui ne pouvait trouver son soulagement que dans la mort. Autrefois, il avait été à deux doigts de tuer son père, sa conscience et son honneur l'avait arrêté à temps. Désormais, tous ses principes venaient de partir en fumée. Il ne pouvait tolérer ce crime. Il était chef de clan et abriter un traitre était inadmissible. Doryan devait mourir. Personne ne viendrait contester cet acte, personne ne lui en tiendrait rigueur.

Le droit de vie ou de mort lui appartenait pleinement et il l'utiliserait quoique cela lui en coute, dut-il en perdre la raison. La lame translucide de son épée scintilla sous les rayons lunaires. Il leva les yeux au ciel, les étoiles émettaient des sifflements aigus, l'air se chargeait d'électricité. Ses iris rougeoyants éclairaient son visage assombri par la haine, ses lèvres formaient un pli féroce. L'avança encore, la silhouette de Doryan se dessina devant lui.

— Te voici enfin, maudit rejeton ! Siffla Doryan d'un ton méprisant.

Les ongles de Dale s'enfoncèrent dans ses paumes. Il bouillait de fureur en voyant le visage de cet homme, de ce père qui n'avait jamais été digne d'en porter le titre. Un sourire narquois s'étira sur les lèvres de Doryan, Dale prit sur lui pour ne pas lui arracher immédiatement la tête. Il avait besoin de savoir, pourquoi il avait choisi de trahir le clan. Pourquoi, il avait livré Kara aux mains de leur ennemi. Il stoppa net, affirmant sa prise sur la garde de son épée.

— Sais-tu de quel crime, tu t'es rendu coupable ?

Doryan sourit.

— Ta précieuse Salvis n'a reçu que ce qu'elle méritait. La mort n'est que trop douce pour une telle aberration !

Un muscle tressauta sur la mâchoire de Dale. Il sentit sa peau s'enflammer à chacun de ses mots. Sa vision ne voyait qu'à travers d'un voile pourpre. Kara, le soleil illuminant ses ténèbres, avait failli y laisser la vie sur Altasia entre les mains de cette ordure de Riwan. Et c'était Doryan qui l'avait livré sans une once de remords. Son honneur s'était envolé avec cet acte d'ultime trahison.