Chapitre 19

5.1K 395 56
                                    

Au volant de sa Mustang, Dale traversa Pitt Street et tourna à gauche pour emprunter Hope Street. Au loin l'enseigne lumineuse du Dragon I éclairait la rue où quelques passants se promenaient en admirant les vitrines des magasins. Il gara la voiture en face du restaurant. Un silence pesant régnait entre Kara et lui depuis qu'ils avaient quitté son appartement. Il l'observa attentivement. Installée dans le siège de cuir noir, elle semblait soucieuse, le regard perdu dans le vague.

La voir si perturbée le tiraillait et il avait d'autant plus l'impression d'être un beau salaud. Il ne cessait de penser à tous les mensonges qu'il lui avait débités sans remords. D'accord, il avait agi ainsi pour la rassurer, mais lui mentir se révélait beaucoup moins facile qu'il ne l'avait cru et sa conscience le tourmentait. Tacitement, Kara lui avait accordé sa confiance. Or celle-ci ne tarderait pas à s'effondrer comme un château de cartes. Il redoutait cette soirée autant qu'il la désirait. N'était-ce pas contradictoire, au fond ? Elle pouvait le renvoyer, le quitter et le détruire en prononçant quelques mots. Son âme se rebellait, sa bête hurlait face à ces odieuses pensées.

Elle était sienne et rien ne changerait ce fait. Parfois, il regrettait de l'avoir rencontrée et par-dessus tout d'être contraint de lui mentir. Les regrets arrivaient cependant trop tard. Il ne pouvait plus faire marche arrière même si son sens de l'honneur le lui commandait. Il n'avait plus le temps de tergiverser. Dans quatre heures, il devrait faire face à la réalité, aussi désagréable soit-elle. Kara n'osait pas tourner les yeux vers Dale. Elle le sentait nerveux, tendu. Peut-être était-ce sa faute ? Elle n'aurait jamais dû lui raconter sa vision.

Avait-il brusquement changé d'avis ? Désirait-il laisser leur relation en l'état et partir sans un au revoir ? Cet homme n'était qu'un humain même si son intuition lui soufflait qu'il était différent des autres. Le destin ne l'aurait jamais choisi pour être son compagnon s'il ne pouvait la protéger des créatures qui en voulaient à sa vie. Bien entendu, il ne ressemblait à aucun homme normal. La preuve était cette étrange marque de naissance. Elle était certaine d'avoir vu l'animal tatoué lui décocher un clin d'oeil.

Dès leur rencontre, il lui avait reproché de lui cacher la vérité, mais que lui dissimulait-il ? Parfois, ses prunelles se voilaient, prenaient une teinte sombre, exactement comme maintenant. Il dégageait une aura mystérieuse qui l'intriguait. Au fond d'elle, elle souhaitait que Dale soit autre chose qu'humain. Il serait plus à même de la comprendre. Pourtant, cela resterait de l'ordre du fantasme.

– Nous sommes arrivés, annonça-t-il d'un ton grave.

– As-tu changé d'avis ?

Il l'observa d'un regard impassible.

– Non. Je suis anxieux.

Il se racla la gorge.

– Écoute, nous avons pris un mauvais départ tous les deux et j’aimerais que les choses soient différentes ce soir.

– Ton insupportable arrogance et ton autoritarisme n'ont pas arrangé les choses.

Dale se figea sous les propos accusateurs de la jeune femme. Il ne pouvait changer sa façon d'être. Il était né pour commander et la compagnie de Kara avait amplifié ce travers.

– Je suis comme ça, je l'ai toujours été et je ne changerai probablement jamais. Si tu veux rester avec moi, tu devras te faire à cette idée.

– Voilà, c'est de ça qu'il s'agit, lui reprocha-t-elle. Tu commandes et je dois obéir comme un gentil petit chien. Aucune relation ne peut fonctionner dans cette optique, Dale. Ta mère ne t'a jamais appris que l'on ne traitait pas une femme de cette manière ?

Un grondement furieux monta dans sa gorge puis il se rembrunit. Pour rien au monde, il ne voulait évoquer sa mère. Elle restait dans son cœur accompagnée du poids atroce de sa culpabilité. Son corps mutilé gisant sur un lit de bruyère, son sang se rependant autour d'elle telle une corolle pourpre et son regard violet perdant sa lumière s'imposa dans son esprit. Son coeur se tordit dans sa poitrine. Il serra les dents, refoulant les larmes insidieuses qui lui picotaient les paupières.

Sombres Héritages-1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant