[Partie 2] Chapitre 22 :

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Megan haïssait le gouvernement. Depuis toute petite, rien n'y faisait, elle exécrait ceux qui dirigeait l'île sur laquelle elle était née. Et la disparition de ses parents n'avait rien à voir là-dedans.

Cette haine et ce dégoût étaient sans doute apparus au moment de l'exil forcé de Jason et des autres enfants de son âge. Comment des chefs d'État pouvaient-ils permettre, et même obliger, des parents à abandonner des jeunes enfants et les condamner à ne jamais se revoir ? Et plus elle grandissait, plus elle apprenait les restrictions des droits des citoyens. Et cela la rendait folle.


À dix ans à peine, on lui avait interdit de voir l'un de ses meilleurs amis, l'un de ses frères. Elle avait parlé aux parents d'Elena, puis à Laëticia. Pour eux, pour tous les Ménas et toutes leurs familles, elle devait lutter contre cette affreuse loi, pour que cela cesse. Pour les enfants bientôt condamnés. Pour les générations futures.

Megan haïssait le gouvernement pour leur indifférence envers le peuple. Certes, il était normal de ne pas comprendre le sort d'une société lorsque l'on vivait au sommet d'une tour en ivoire, loin des injustices de ce monde. Après tout, ils ne connaissaient ni le moindre problème d'argent ni une adolescence sans parents – que ce soit au Pensionnat ou sur Setchâ.

Et parfois, il lui semblait que tout rassemblement anti-gouvernement avait sa part de raison. Quel qu'il soit.

Mais ce n'était pas pour autant qu'elle adhérait aux principes de la Clé Ensorcelée, ni à leur façon de procéder. Elle trouvait la haine entre ces deux antagonistes absurde, elle-même exécrant aussi bien l'un que l'autre. L'espèce de guerre minable qui les animait mettait en danger le peuple sans les déranger le moins du monde.

Le cas le plus affolant de cette situation demeurait sans doute Laëticia. En effet, la jeune fille ne pouvait ni rester sur sa petite île, ni en partir. Et ce n'était pas les lois qui gênait Megan mais l'insécurité qui pesait sur les épaules de la jeune Ménas. La Clé Ensorcelée la recherchait activement – et ne tarderait sans doute pas à mettre la main sur elle. Et l'on ne savait distinctement dans quel but et ce qu'ils compteraient faire d'elle par la suite.


Mais Megan avait tourné et retourné le problème dans tous les sens et son esprit avait fini par trouver une solution. Ainsi, un beau jour, alors que ses amis étaient occupés ailleurs, l'adolescente déambula un bon moment dans les rues de Natilma, quelque peu perdue. Cela faisait plusieurs années qu'elle n'était revenue dans ce lieu pourtant emblématique de son enfance. Mais l'enfance s'était évanouie depuis longtemps...

La jeune fille marchait à grands pas, la tête haute. Comme à son habitude, elle semblait déterminée et élaborait dans son esprit mille idées pour la suite.

Enfin, l'Éolikinésiste fit face à la porte derrière laquelle elle avait passé les plus beaux moments de son enfance. Sans la moindre once d'hésitation, elle frappa deux coups secs et attendit, un léger sourire fendant ses lèvres.

Les souvenirs lui revinrent par bribes et elle se revit, petite et encore blonde à l'époque, aux côtés de Ioan et Jason. Cette maison, c'était la sienne. C'était là où tous trois se réfugiaient lorsque Meg et Ioan ne voulaient pas rentrer au Pensionnat.

Lorsque la porte s'effaça, elle laissa apparaître un grand homme roux aux yeux pétillants nommé Henrio. Le père de Jason.

– Megan ! s'exclama-t-il avec un sourire sincère en la reconnaissant immédiatement. Ça fait tellement longtemps !

– Comment vas-tu ? s'enquit la jeune fille avec le même sourire avant de se jeter dans les gros bras de l'homme.

– Ça va, affirma-t-il calmement. Et toi ?

– Très bien. Il se passe beaucoup de choses disons.

Tous deux entrèrent dans le grand appartement et s'installèrent tranquillement dans le salon.

– Jason va bien, lâcha l'adolescente en souriant.

Henrio ouvrit de grands yeux et lui demanda de répéter en bafouillant.

– Jason va bien. J'ai appris récemment que des visiteurs pouvaient se rendre sur Setchâ. Alors, avec Ioan, comme nous n'avons pas de liens de sang, nous avons rendu visite à Jason. Et il va bien.

Henrio tenta de dissimuler son émotivité et chercha à approfondir :

– Bien bof ou très bien... ?

– Ça va. Disons qu'il est exilé sur Setchâ donc bon. Mais je pense que ça lui a fait sincèrement du bien de nous voir.

L'homme essuya du revers de sa manche ses yeux humides et remercia l'Éolikinésiste. De longues minutes durant, Henrio prit des nouvelles de son fils, un sourire béat figé sur ses lèvres. Il était réellement heureux de savoir que son fils pouvait compter sur ses amis d'enfance et que son existence paraissait bien-heureuse malgré la difficulté de sa situation.


Megan lui parla ensuite de son idéologie à propos du gouvernement ; idéologie qu'elle partageait avec le père de son ami – ainsi que toutes les personnes touchées de près ou de loin par le sort des Ménas. Elle évoqua les difficultés de faire sortir Laëticia de Setchâ et du danger qui pesait sur ses épaules à cause de son exposition.

– Et que comptes-tu faire pour changer cela ? l'interrogea Henrio. Car je te connais. Si tu me parles de tous cela, c'est que tu as une idée derrière la tête.

Un léger sourire fendit le visage amusé de l'adolescente qui avoua :

– En effet. J'ai besoin de ton talent d'inventeur...

Henrio était un technicien. Il s'agissait de son travail, son passe-temps, sa passion. Depuis tout petit, il fabriquait mille machines plus ou moins réussies, liant toujours l'utile à l'amusement. N'importe quoi et pour n'importe qui. Pour son foyer, ses enfants lorsqu'ils étaient petits, ses amis, ses collègues, et bien d'autres encore. Et il n'était pas étonnant que l'Éolikinésiste ait besoin de ses talents tant sa renommée prenait de l'ampleur.

– Que puis-je faire pour toi ? questionna l'homme avec un sourire honoré.

– J'aurais besoin que tu crées – secrètement – un objet discret permettant de localiser Laëticia où qu'elle soit. Une puce, un bijou... Tout ce que tu veux.

L'inventeur n'eut besoin que de quelques secondes pour réfléchir.

– Ça me paraît faisable, affirma-t-il avec un sourire humble, concluant par cette simple phrase une part importante du problème.

Le visage de Megan s'éclaira du plus beau sourire de sa vie.

Octo/ tome 2 • L'appelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant