[Partie 1] Chapitre 2 :

28 5 3
                                    

Solitude.

Il s'agissait d'un mot plutôt courant qui habitait de nombreuses personnes, généralement ressentie lors d'une situation particulière. Une situation de manque, peut-être. De doute, parfois. D'absences – que ce soit de personnes ou d'informations... Toujours.





Raym était un petit homme – cela valait sans dire – d'à peine un mètre. Ni plus, ni moins. Sa peau foncée était sans cesse recouverte d'un costume à cravate blanc aux ourlets noirs, de la même couleur que ses chaussures cirées à la perfection.

Un frange sombre de longs cheveux crépus recouvraient ses yeux clairs ainsi que ses oreilles. Constamment souriant, il possédait un sens important de la famille et il semblait, aux yeux de tous, très proche de son unique cousine, Jamila, qu'il considérait comme la sœur qu'il n'avait pas. Âgé d'une trentaine d'années, il espérait bientôt recevoir un enfant de sa compagne, Alen.

Cette dernière s'étant exceptionnellement absentée, le brun se trouvait actuellement seul dans l'immense appartement. Il s'interrogeait sur les raisons du départ de sa femme alors qu'ils étaient sensés partir en vacances tous les deux et un doute plein de vices s'insinua dans son esprit.

Sa femme était-elle simplement partie, sans la moindre explication ? La connaissant, elle l'en aurait informé. Mais ce n'était pas le cas.

Il savait, en compagnon expérimenté, qu'elle partait régulièrement en déplacements sur les autres îles. Lesquelles ? Il ne savait plus. Parfois N'Brosios, parfois Setchâ. Parfois ailleurs. Mais depuis un certain temps, elle semblait... distante.

Bon, il fallait bien reconnaître qu'elle n'avait jamais été très tactile. Mais là, il commençait sérieusement à avoir quelques soupçons. Il se détestait de douter de sa confiance. De leur confiance. Mais il fallait avouer qu'elle n'était pas nette. Bien qu'il s'en voulait terriblement de penser cela.

Méfiant, il décida de fouiller, tel un miséreux, dans les affaires de sa femme. Il œuvra de façon méthodique bien que le fruit de ses recherches se révèle inutile.

Quoique ! Une bosse suspecte sous le matelas attira son attention alors qu'il s'apprêtait à baisser les bras.

Il y retira un petit cahier savamment dissimulé entre les ressorts et la mousse du lit puis l'inspecta, l'œil grave. Sur la couverture, il était inscrit : « Journal d'Alen / NE PAS OUVRIR ».

Tout ceci le rendait maladif. Et leur phrase, « On ne se cache jamais rien. » C'était quoi ? Un mensonge ?! La situation semblait insupportable. Ce journal, c'était la preuve. La preuve qu'elle lui cachait quelque chose. Ses yeux le piquaient, ses mains tremblaient. Il s'assit, par précaution. Puis, il ferma les paupières, espérant échapper à la réalité. Mais en les rouvrant, le carnet se trouvait toujours entre ses doigts. Après tout, peut-être qu'il n'y avait rien. Avec un peu de chance...

STOP ! Arrête de te faire des films ! Tu ne SAIS PAS ce qu'il y a à l'intérieur. Donc ouvre-le !

Raym obéit à sa propre conscience et, après avoir feuilleté quelques pages, il laissa échapper le carnet qui glissa sur le tapis moelleux. Une larme, plutôt inhabituelle venant de sa part, roula sur la joue du pauvre homme qui venait de découvrir avec effroi le pire des secrets.

Pas d'amant ; ça non. Dans un sens, il était rassuré.

Mais sa femme, celle en qui il avait tant confiance, faisait partie de la Clé Ensorcelée. Il s'agissait d'un groupuscule aux desseins plus sombres les uns que les autres. Leur objectif final paraissait quelque peu imprécis pour le moment. De ce qu'il savait, les partisans souhaitaient éliminer les communs mortels ainsi que les Sortilistes se dressant devant eux. Ils étaient déjà parvenus à réaliser un audacieux kidnapping de la quasi-totalité des jeunes filles de Natilma, l'île principale. Cet enlèvement n'avait duré que deux jours et semblait avoir pour but de retrouver une jeune Ménas de quinze ans, une jeune fille ayant la particularité d'être née un vingt-neuf Février, date qui n'existait pas dans ce monde parallèle. Il s'agissait d'une menace que nul ne parvenait à situer.

Mais si la compagne de Raym adhérait à leurs projets, leur vie de couple allait très certainement basculer, et pas forcément pour le meilleur.

Comment avait-elle pu ? La colère s'imposa à lui, repoussant la tristesse avec fureur.

Il se leva, plein de rage, et se campa devant le miroir. Qu'avait-il pu faire de mal pour mériter cela ? Il détailla chaque trait de son visage, chaque trait de son corps avec précision. Son nez n'avait rien d'imposant, contrairement à sa bouche et à sa boucle d'oreille en ivoire. Ses yeux habituellement bleus avaient rougies et de grosses larmes dévalaient ses joues rebondies.

Rien. Il fallait qu'il arrête. Il n'avait en rien influé sur la trahison de se femme. De son ex-femme. Il ne pouvait plus rester avec elle. D'ailleurs, il ne voulait plus la voir. Il ne voulait plus vivre avec une telle traîtresse sous son toit. Il ne voulait plus avoir à la regarder en face. Même si il le fallait. Il devrait lui dire. Il devrait la chasser. Il devra la dénoncer aussi. Mais ça, il ne le ferait pas. Peut-être pas. Il ne savait pas encore ce qu'il ferait. Il ne fallait pas mettre la charrette avant les bœufs, il n'avait aucune idée de la façon dont il réagirait une fois face à elle.

***

Raym se trouvait seul dans le grand lit conjugal qui paraissait monstrueusement immense pour un homme sans sa femme. Il n'arrivait pas à dormir. À croire que le sommeil ne pouvait pas l'engloutir comme il le faisait à chaque fois.

Dans sa tête, les pensées lui échappaient et se répétaient en boucle sans qu'il parvienne à s'en défaire. Le ménage infernal semblait lancé à telle vitesse que plus rien ne pouvait l'arrêter maintenant. À part le sommeil ; peut-être. Les images, les sons ou encore les sentiments revenaient sans cesse, tourmentant le pauvre homme qui mélangeait chaque mot.

Sa femme avait pleuré, quelques cris de sa part avaient résonné, mais Alen n'avait même pas osé démentir les faits. Oui, elle faisait partie de la Clé Ensorcelée. Oui, elle avait participé à leurs travaux. Oui, elle resterait quoi qu'il arrive. Et oui, elle l'aimait réellement.

Ce fut d'ailleurs la seule raison de ses pleurs. Confuse, elle avait essayé de lui faire rejoindre le groupe. Par amour. Et par conviction. Sortis de sa bouche à elle, les arguments ne semblaient plus si mauvais. Après tout, peut-être qu'ils avaient un bon fond. Peut-être.

Cette sorte d'endoctrinement avait failli fonctionner.

Puis, Raym s'était souvenu que les adolescentes avaient été retirées de leur famille et fortement droguées. Son avis avait fait demi-tour en moins de deux ; il était hors de question qu'il cautionne de telles atrocités.

Alen devait se douter qu'il réagirait ainsi puisqu'elle n'avait cru bon de lui en parler ni d'essayer de le convaincre avant.

Sans un mot, le petit homme avait clôt la conversation et lui avait désigner la porte. Elle avait tenté de l'embrasser une dernière fois avant de se quitter mais il l'avait repoussé. Il était trop tard.

Elle l'avait perdu et bien que cela leur fende le cœur aussi bien à l'un qu'à l'autre, rattraper ce qui s'était brisé entre eux serait très, très dur.


Lorsque le sommeil l'enveloppa de ses bras emplis de rêves et de cauchemars, il s'endormit profondément. Le lendemain, il ne se réveilla que très tard.

Toujours amoureux d'Alen, il lui laissa vingt-quatre heures avant de se rendre au bureau des dirigeants afin de la dénoncer. Ensuite, il se renferma sur lui-même, se retirant du monde.

Octo/ tome 2 • L'appelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant