[Partie 1] Chapitre 9 :

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Quelques mois s'étaient écoulés et Laëticia ne s'était toujours pas décidée à rejoindre le village des Ménas, au centre de Setchâ. Un jour, peut-être... En revanche, elle y avait déjà mis les pieds.

Une nuit, alors que le calme englobait le monde tout entier, l'enfant ne parvenait à trouver le sommeil. Elle avait beau se tourner et se retourner sur la planche informe qui lui servait de lit, elle ne parvenait à sombrer dans les bras de Morphée. De plus, elle avait terriblement chaud. Le soleil de juin avait brillé toute la journée et la chaleur n'était que très peu redescendu.

Agacée, la jeune fille s'assit sur la branche, dos au tronc, et observa la nuit. Une très légère brise faisait vacille quelques feuilles, les faisant ainsi bruisser. Au loin, une étincelle attira le regard de l'enfant. Durant un instant, son regard demeura rivé sur cette source de lumière dont elle n'avait jamais réellement fait attention.

Elle n'eut pas besoin de réfléchir afin de comprendre qu'il s'agissait d'un feu de camp conduisant au village de ses semblables.

Elle se pencha vers d'autres détails de la forêt mais bien vite, son attention fut de nouveau appelée vers les flammes en questions. Telle un aimant, cette source de vie l'attirait irrémédiablement.

Dictée par son instinct, elle descendit donc de son perchoir puis marcha droit devant elle, en direction du feu de camp. Comme habitée, son regard paraissait à la fois vide et empli par une étrange lueur ; fixé droit devant elle.

Après quelques minutes, elle arriva à l'orée de la forêt, au bord de la clairière abritant le village des Ménas. À quelques mètres à peine, le feu brûlait tranquillement, donnant l'air d'appeler l'enfant à lui.

Laëticia se rendit alors compte qu'elle n'avait pas pris soin de vérifier qu'elle n'était pas suivie. Dorénavant plus prudente, elle se dissimula donc derrière un tronc d'arbre puis observa paisiblement le lieu.

Une cinquantaine de petites cabanes en bois de plein pieds emplissaient la clairière dans une méticuleuse organisation non-négligeable. L'abri pour le feu se tenait au centre de village, sur une place possédant des bancs ainsi que quelques tables relativement espacées les unes des autres.

Sur une majorité du côté Est de la place se trouvaient l'ensemble des habitations, toutes ayant été faîtes manuellement. Il y en avait des petites, sans doute prévues pour une ou deux personnes, ainsi que d'autres, plus grande, semblables à des maisons familiales. La plupart possédaient un petit comptoir, servant probablement à offrir ses services aux autres habitants.

Du côté Ouest, l'espace semblait plus aéré. En effet, un espace quelque peu imposant paraissait dédié au sport et autres loisirs. À côté de cela trônait une grande cuve d'eau – afin de recueillir la pluie sans doute – ainsi qu'un petit potager dans lequel poussaient pommes de terre, carottes et salades. Un peu plus loin, un cabanon plus simple que les autres ne possédait pas de porte. Il s'agissait d'un endroit appartenant à tous dans lequel étaient rangés les outils et autres accessoires communs.

Tout paraissait calme. Presque trop. Pas même le singulier hululement des volatiles nocturnes ne se faisait entendre.

La jeune fille tenta de se persuader que c'était la nuit qui imposait ainsi le silence mais un doute s'insinua subtilement dans son esprit. Vicieux et glissant, rampant, tel un serpent. Tout était affreusement silencieux, comme le calme avant la tempête.

Laëticia ne devina pas à quel point ses pensées étaient réelles.


Après quelques interminables minutes – qui semblèrent durer des heures – à épier et détailler chaque parcelle du lieu, la jeune Ménas se décida enfin d'y pénétrer. Comme toujours, elle avançait lentement et à pas de loup.

En avançant, elle entendit des ronflements çà et là, des chuchotements ici puis des gémissements un peu plus loin qu'elle ne put interpréter à cause de son âge.

Elle traversa rapidement la zone Est et s'arrêta un moment devant le grand feu. Celui qui illuminait le centre de la place, mais aussi celui qui faisait briller les yeux de l'enfant. Et à cet instant, elle sut. Elle sut pourquoi les flammes l'attirait autant, pourquoi semblait-elle impressionnée, pourquoi cela lui provoquaient mille sensations toutes plus extrémistes les unes que les autres.

Des souvenirs – encore des souvenirs – lui revinrent. Elle revit sa mère, à peine quelques mois plus tôt. Sa mère, réchauffant sa chambre avant la nuit. Sa mère, faisant cuire les plats de ses mains. Sa mère, allumant de multiples bougies les soirs de fête. Car sa mère était une Pyrokinésiste, et pas des moins aguerries. Le feu avait toujours dicté sa vie.

Lorsqu'elle parvint enfin à détacher son regard de l'hypnotique danse des flammes, ce ne fut pas sans violences. Errantes dans la nuit, ses deux pupilles claires balayèrent chaque recoin en une fraction de seconde.

L'esprit de l'enfant semblait ailleurs, comme perdu dans la brume, aussi ce fut son instinct qui prit le relais. Et il ne s'agissait pas d'un instinct des plus fébriles.

Laëticia stoppa donc son manège et s'arrêta brusquement. Elle se fit violence pour arrêter de demeurer obnubilée par le feu et fit brutalement volte-face. Ce fut à grande enjambées qu'elle franchit la distance la séparant du cabanon en bois, son regard ne cessant de vérifier qu'elle était bien seule. Une fois à l'intérieur, elle souffla un grand coup comme pour se donner du courage avant d'observer les lieux.

Partout où son regard se posait, le désordre régnait. Pas que ce soit dérangé, non – cela aurait été trop opposé au reste du camp. Mais plutôt qu'il y avait tellement de fourbi que chaque objet peinait à ne pas dépasser de la place qui lui avait été initialement attribuée.

À droite comme à gauche s'entassaient de grande étagères – faîtes main – à l'apparence peu solide. À l'intérieur, chaque catégorie d'objets – existant en plusieurs exemplaires – possédait sa place à côté d'une autre dont l'utilité paraissait parfois complètement opposé. Ainsi, un tas de draps se tenait aux cotés de paniers en osier, eux-même côte-à-côte avec de longues tiges en bois dont le but semblait vaste.

Préférant éviter de s'attarder inutilement dans cet endroit sombre, la jeune fille s'empara donc d'un petit couteau conçu avec un manche en bois et une fine lame, ainsi qu'un carré de tissu blanc comme la neige.

Puis, elle repartit comme une voleuse – après tout, c'était ce qu'elle était dorénavant. Elle espérait de tout cœur que le village ne remarque pas la disparition de ces objets.


Plus tard, à nouveau allongée sur sa méchante planche de bois, Laëticia eut la nette impression que les flammes dansaient encore et toujours devant ses paupières pourtant closes. Elle repensa à sa mère et à son souhait de, comme elle, devenir Pyrokinésiste.

Le ronflement d'Eraflu lui fit ouvrir les yeux.

Elle ne serait jamais comme sa mère ; elle se serait jamais une Pyrokinésiste. Car le seul pouvoir qui lui correspondait et lui appartenait était celui de Guéhériste. Et elle était sans doute la toute dernière encore vivante.

Octo/ tome 2 • L'appelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant