Chapitre 7 - Deuxième Partie

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Le chemin escarpé était plongé dans une profonde obscurité. Le mince croissant de lune qui trônait dans le ciel nocturne ce soir-là ne diffusait qu'une maigre lueur, trop paresseuse pour disperser les ténèbres. Le vieil homme tenait dans sa main gauche une torche dont les flammes éclairaient sa route à quelques pas devant lui. Leur lumière était vacillante, tant à cause de la douce brise qui balayait la nuit qu'à celle des tremblements incontrôlés de sa main. Il s'affaiblissait. L'ascension de la montagne lui prenait de plus en plus de temps.

Lorsqu'il déboucha sur la clairière, il s'étonna de voir que le feu n'avait pas été allumé. Il savait pourtant qu'il n'était pas seul. Il ne lui fallut que quelques pas supplémentaires pour apercevoir la silhouette du jeune garçon assis en tailleur devant le foyer éteint.

– Ambroise ? appela-t-il.

Celui-ci leva la tête en sursautant, se précipita vers son Maître. Il lui prit la torche des mains et le laissa prendre appui sur son bras robuste. Le vieillard était soulagé de pouvoir se reposer sur lui. Il s'accorda quelques instants pour retrouver son souffle avant d'interroger son jeune disciple :

– Pourquoi le feu est-il éteint, mon garçon ? Sa lueur nous serait pourtant d'un grand réconfort dans cette nuit si noire.

– C'est bien vrai, Maître. Sa Présence me manque terriblement, mais il m'a paru plus raisonnable de ne pas l'allumer.

– Pour quelle raison ?

Ambroise l'aida à prendre place sur un tronc d'arbre couché au sol près du foyer. Ses membres raides ne supportaient plus de s'asseoir à même le sol. Inconfortablement installé sur le flanc de cet arbre mort donc les écorces saillantes lui piquaient les cuisses, il se fit violence pour faire taire les protestations de son corps. Il darda ses yeux ridés sur le visage de son disciple et devina son inquiétude.

– La Duchesse fait activement rechercher les membres des Serviteurs, Maître. Ils ne vont pas tarder à savoir que nos assemblées se déroulent en pleine forêt. Un feu signalerait notre position.

– Je comprends.

– Nous n'aurions peut-être pas dû laisser repartir le frère de Sami. Il dispose de bien trop d'informations à notre sujet.

Sous le regard impassible de son Maître, le jeune homme se mordit la lèvre et déglutit, comme pour tenter de ravaler des paroles prononcées trop précipitamment. Personne n'osait jamais contredire les décisions prises par le Maître.

– Ne t'en fais pas au sujet du jeune Aedam, répondit le vieillard dans un souffle. Je doute qu'il soit en état de raconter quoi que ce soit.

– On raconte qu'il est encore en vie, et que la Duchesse veille personnellement sur lui.

– Si ses blessures ne le font pas taire, la peur s'en chargera. Fais-moi confiance, Ambroise.

Le Maître jeta un regard en biais vers la lisière de la forêt. Au pied d'un imposant chêne, dissimulés dans l'obscurité profonde, demeuraient les dernières traces du passage de leur jeune pécheur ; un entrelac de chaînes et de cordes usées reposant sur la terre humide, toujours imprégnée de sang, d'urines et d'excréments. Une puanteur tenace s'en dégageait encore.

Lorsque ses disciples lui avaient amené le jeune garçon, quelques jours avant les attaques, il avait immédiatement compris que les Grands Esprits lui donnaient l'occasion de se servir de lui comme exemple. Les traitres à leur cause, tout comme les hérétiques, devaient être punis. Purifiés. Il fallait leur rappeler la vulnérabilité de leur enveloppe de chair, les amener à s'agenouiller devant la puissance des Esprits. Il avait donc laissé ses disciples se charger de lui. User de tous les moyens pour le faire parler, puis pour le faire plier. Quand il avait été suffisamment châtié, le Maître avait ordonné à ce qu'on le laisse filer. Un bon exemple, pour être efficace, devait être exposé à la vue de tous.

– Il serait peut-être temps que Sami connaisse le même châtiment que son frère, déclara Ambroise, les mâchoires serrées. Il doit être puni pour sa lâcheté.

– Pas encore, mon garçon, pas encore. J'ai espoir que notre jeune Sami retrouve la raison et vienne se repentir de lui-même.

– Pourquoi avez-vous encore foi en lui, Maître ? Il nous a abandonnés au moment où nous avions le plus besoin de lui.

Les traits du garçon étaient déformés par la colère. Son ressentiment envers son ami ne faisait que croître jour après jour. Celui-ci, alors que les Serviteurs étaient sur le point de pénétrer dans le Divinaire, avait subitement lâché son arme et fui à travers les rues d'Horenfort. Ambroise avait tenté de le rattraper, mais en vain. Il n'avait retrouvé que le manteau et le foulard rouges, négligemment abandonnés au sol. Depuis, ils avaient appris que Sami se terrait chez ses parents, trop peureux pour oser en sortir et affronter les conséquences de sa lâcheté. Pourtant, le Maître ne parvenait pas à le considérer comme un traître.

– Les Grands Esprits les ont épargnés, lui et son frère, lorsqu'ils se sont trop approchés du Marais, expliqua-t-il. Ils ne font jamais rien sans raison, tu le sais bien.

– C'est vrai.

– Nous devons en conclure qu'ils avaient un plan pour Sami, tout comme pour son jeune frère. Dis-moi, quel rôle a joué Aedam dans notre grand plan ?

– Il a servi d'exemple. Grâce à lui tout le monde connait désormais le sort que nous réservons aux traitres.

– Exactement. Et Sami a lui aussi un rôle à jouer. Il nous faut juste patienter jusqu'à ce que les Esprits nous dévoilent lequel.

Ambroise acquiesça d'un mouvement de tête.

– Vous avez raison, Maître. Pardonnez-moi d'avoir douté de vous.

– Ce n'est pas de moi que tu as douté mon ami, mais de la sagesse des Esprits. Mais je sais qu'ils te pardonneront.

Une quinte de toux le fit taire. Se tenant les côtes d'une main, protégeant sa bouche de l'autre, il fit signe à son disciple de lui apporter un verre d'eau. Celui-ci s'exécuta en hâte, fouillant dans les maigres affaires qui constituaient son campement.

Le vieillard but à petites gorgées, laissant l'eau fraîche apaiser son gosier enflammé. La toux s'apaisa. La respiration encore sifflante, le Maître rassura le garçon :

– Garde courage, Ambroise. Tu n'auras plus à te cacher ici bien longtemps. Bientôt, nous pourrons nous dévoiler au grand jour. Bientôt. 

Valacturie - T2 Les assassins d'AlistarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant