— Lévie, qu'est-ce que tu fais ? C'est bien joli de rêvasser mais mes oignons ne vont pas se tailler tous seuls ! Allez !
La voix de la Mère Balafrée ramena Léonor à sa réalité.
Comme chaque soir depuis qu'elle voyageait avec la troupe d'artistes, elle avait proposé son aide pour préparer le fameux ragoût du soir mais s'était laissé distraire par Lasthyr. La Valacturienne essayait de lui parler depuis le début de l'après-midi, et sans cesse entourée ou occupée, Léonor n'avait pas réussi à trouver un seul moment de solitude pour lui répondre. De nouveau, elle refoula l'esprit de Lasthyr en s'excusant.
— Je suis désolée, je ne peux pas te parler pour l'instant. Plus tard. Je viendrai vers toi quand tout le monde sera couché.
Lasthyr heureusement accepta une nouvelle fois de se rétracter. Elle comprenait fort bien que la jeune fille ne pouvait se permettre d'attirer l'attention sur elle en public. Léonor put focaliser son attention sur les oignons et s'aperçut qu'elle était restée le couteau en l'air, complètement figée. La Mère Balafrée la dévisageait toujours, sourcils levés.
— Désolée. J'étais ailleurs.
— J'ai bien vu ! Tu es vraiment un drôle d'oiseau, ma petite. Toujours un pied sur la Lune, et souvent même les deux !
Léonor ne répondit rien et se remit au travail. La Mère Balafrée n'était pas bien méchante. Avec ses rondeurs maternelles, sa générosité brute et son caractère bien trempé, elle avait bien mérité son surnom de Mère de la petite troupe. Quant à l'épitaphe "Balafrée", elle le devait à une vilaine cicatrice qui courait sur la partie droite de son visage, depuis la tempe jusqu'à la commissure des lèvres, abîmant au passage son œil d'un bleu perçant qui ne s'ouvrait plus tout à fait. Léonor n'avait pas osé demander à qui que ce soit l'origine de cette balafre, ni la façon dont cette femme avait atterri au milieu d'une troupe d'artistes. Car en dehors de son talent derrière les fourneaux, elle ne présentait aucune sensibilité artistique. La seule fois où Léonor avait tenté de poser la question à Nino, il lui avait répondu avec son habituel sourire :
— Il faut bien que quelqu'un fasse la cuisine !
Elle comprit qu'elle n'en apprendrait pas beaucoup plus sur l'histoire de la Mère Balafrée, ni d'aucun autre des membres de la troupe. Le message était clair ; on ne te pose pas de questions sur toi, n'en pose pas sur nous. Un arrangement qui lui convenait fort bien.
À l'heure du dîner, toute la troupe se regroupait autour de la marmite fumante et odorante, pour se servir à tour de rôle. C'était toujours un instant de convivialité, une parenthèse durant laquelle chacun laissait de côté ses occupations et entraînements pour se réunir. Le dîner se trouvait toujours ponctué de rires et Léonor savourait ces moments d'insouciance, durant lesquels elle parvenait presque à oublier la menace qui pesait sur elle, et la mission qui lui incombait.
Ce soir-là pourtant, les rumeurs des événements sombres qui secouaient les montagnes s'invitèrent au dîner, à son grand désarroi. On commençait à beaucoup en entendre parler sur les routes, et l'inquiétude gagnait du terrain.
— Vous croyez que c'est vrai ce qu'on raconte ? Le Duc a été assassiné ?
— C'est bien possible. Les gens ne parlent que de ça.
— C'est quand même incroyable ! Dans l'enceinte même de son château !
— Et on sait par qui ?
— Une espèce de secte apparemment. Les conflits religieux sont violents là-bas. Plus qu'ailleurs, à ce qu'il paraît.
— Nous devrions peut-être changer d'itinéraire. Les montagnes ne sont pas sûres.
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Valacturie - T2 Les assassins d'Alistar
FantasiaÉnith et Léonor sont sur les routes. L'une cherche sa place au sein du convoi qui la mène vers la capitale, l'autre s'efforce d'étendre son don vers d'Autres Mondes avant d'atteindre les montagnes. Mais leurs voyages seront semés d'embûches. Une obs...