Chapitre 20

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Entourée d'une dizaine de soldats dont les armures clinquantes transperçaient le silence nocturne, Elmande remontait l'avenue principale d'Horenfort à grandes enjambées. Au loin, les colonnes blanches du Temple tranchaient avec l'obscurité ambiante, prêtes à accueillir en son sein les événements qui allaient bousculer en profondeur l'Histoire des Montsombres.

La Duchesse avait prévenu les Sages de sa visite, à la nuit tombée, une fois le chœur du lieu sacré vidé de ses derniers fidèles. Elle n'avait pas l'intention de se donner en spectacle.

Mue par une détermination froide, elle s'interdisait de repenser aux paroles de Ricaël, au doute qu'il avait failli réussir à semer dans son esprit. Elle l'avait convoqué le matin-même, impatiente de lui faire part de sa certitude ; le Sage Umbel était le mystérieux Maître des Serviteurs. Il l'avait écoutée avec attention, les yeux écarquillés de stupeur. Il ne l'avait pas interrompue, pas un seul instant, alors qu'elle lui présentait les faits qui l'avait conduite à cette conclusion. Mais une fois son discours terminé, la réaction du Seigneur de Narambie avait été bien différente de qu'elle avait espéré :

— Vous rendez-vous compte de la gravité d'une telle accusation, Madame ?

— Bien évidemment. Mais j'espère avoir votre soutien, Ricaël, lorsque j'irai confronter les Sages à ce sujet.

Il n'avait pas répondu immédiatement, dévisageant Elmande avec un regard empli d'incompréhension.

— Vous semblez penser que vous détenez suffisamment de preuves, avait-il enfin avancé. Je doute que la parole d'un enfant traumatisé soit suffisante...

— Il ne s'agit pas de sa parole, mais de ses réactions. Son traumatisme, ses souvenirs parlent pour lui. Vous auriez dû voir sa réaction lorsqu'il a entendu Umbel... Son corps tout entier s'est souvenu de lui.

— J'insiste, Madame, mais ses réactions me semblent bien peu de choses. Pensez-vous que le Sage Umbel soit le seul vieil homme souffrant de maux respiratoires ? Il pourrait s'agir de n'importe qui d'autre.

Ces paroles avaient manqué de peu d'ébranler ses certitudes. Mais Elmande avait toujours pu faire confiance en son intuition. Tout lui criait, depuis fort longtemps, que les Sages étaient indignes de confiance, et la culpabilité d'Umbel ne faisait pour elle pas le moindre doute.

— Je suis sûre de ce que j'avance, Ricaël.

— Que comptez-vous faire ? L'arrêter, le juger ?

— Probablement.

— Il s'agit du Sage le plus ancien et respecté des Montsombres, Madame !

— Cela ne doit pas l'empêcher de répondre de ses actes.

Le visage de Ricaël s'était fermé, il avait croisé ses bras contre son torse, ne pouvant masquer sa profonde consternation.

— Vous devriez songer très minutieusement aux conséquences que cela pourrait avoir, Madame.

— Est-ce une menace ?

— Une simple mise en garde. Vous vous apprêtez à attaquer volontairement l'institution religieuse la plus influente de la ville, en pleine période de conflits ouverts. Vous allez mettre de l'huile sur un feu déjà bien trop vivace, en vous basant seulement sur les traumatismes d'un enfant. Et sur votre propre ressentiment.

— Je suppose que je n'aurais pas votre soutien, dans ce cas ?

— Non, Madame. J'en suis désolé, mais je ne peux que vous déconseiller d'aller au bout de cette entreprise.

Elmande avait été fort déçue. Elle avait fini par croire qu'elle pouvait compter sur cet homme autant que son mari l'avait fait avant elle. Mais tout comme les Sages, il s'obstinait à reléguer ses décisions et ses convictions au rang d'absurdes divagations émotionnelles.

Valacturie - T2 Les assassins d'AlistarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant