Chapitre 30 : Confessions nocturnes

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Milo me garda dans ses bras de longues minutes. Je me sentais faible et épuisé, mais les paroles apaisantes qu'il me soufflait finirent par avoir raison de mes larmes. Je me contentais de m'agripper à lui de toutes mes forces, comme par peur qu'il ne s'éloigne.

Il m'avait aidé à sortir de l'océan de désespoir dans lequel je me noyais et maintenant, il allait devoir m'aider à ne pas y sombrer de nouveau malgré les vagues qui prenaient de l'ampleur à la surface. Je me détestais de lui infliger ça.

Comment pouvait-il être aussi patient avec moi ? Je devais être insupportable.

— Tu te sens mieux ? me demanda-t-il tendrement.

Non !

— Oui.

J'ai peur, Milo.

— Je sais que tu mens.

Je le serrai plus fort contre moi. C'était dire à quel point je ne me sentais pas bien : d'habitude, je détestais les contacts physiques, je ne les tolérais pas. Or, à ce moment, j'en avais besoin.

J'avais besoin de Milo.

— Ne me laisse pas, le suppliai-je sans même m'écarter de lui.

— Jamais, me répondit-il en resserrant également son étreinte autour de moi.

— Je suis désolé.

— Ne le sois pas. Tu n'as pas de raison de l'être, mon pafa.

Un mince sourire étira mes lèvres. Toujours ce surnom.

— Tu sais, parfois, j'aimerais bien changer le monde, me dit-il pensivement. Anéantir tous ceux qui ont tenté de blesser autrui. Éradiquer ceux qui s'en prennent injustement aux autres. C'est impossible, mais... pas totalement inespéré. Il faut juste commencer. Allumer un incendie qu'on ne saurait éteindre. Sinon, personne ne le fera jamais.

Je fus brièvement surpris que ses métaphores se portent sur le feu, bien au contraire des miennes, mais le laissai finir.

— Alors, on va réussir à faire enfermer Ylan et ses imbéciles d'amis. Ils sont aussi connus que mon nom de famille, donc ce sera littéralement le plus gros scandale de la décennie. Les médias ne rateraient jamais une telle affaire. Cela détruira sûrement la réputation entière des Wildstone mais tu sais quoi : je m'en contrefous ! Tout ce qui compte, c'est... la vérité.

Il me serra plus fort contre lui et je me laissai faire.

— Non, rectifia-t-il alors. Tout ce qui compte, c'est toi. Veux-tu qu'on s'en aille ? Même moi, je trouve qu'il y a trop de bruit.

— Volontiers, soufflai-je, les joues rougies suite à sa première phrase.

Je séchai une dernière fois mes larmes et me levai en même temps que Milo. Il enfila rapidement son manteau avant de se tourner vers le centre de la pièce pour tenter de repérer l'un des trois adultes totalement bourrés qui nous avaient emmenés ici.

— Je constate que Sarah s'amuse bien et que Raphaël ainsi que notre cher professeur de mathématiques se sont volatilisés, rit-il, les yeux écarquillés. Je préfère quitter les lieux de ce pas et rester dans l'ignorance quant à leur localisation.

Je rigolai également. Heureusement que nous étions venus à pied, au vu de l'état du trio. Je prédis aisément que demain, ils auraient tous une sacrée gueule de bois. Sur cette belle devinette, on se hâta de s'éclipser.

La radicale transition entre l'atmosphère lourde et bruyante de la boite de nuit et les rues désertes et étonnamment silencieuses de la capitale me surprit. Il faisait frais, c'était reposant.

On marcha sans un mot pendant de longues minutes. Je fus satisfait de réaliser que sans même nous concerter, nous avions suivi les panneaux touristiques menant vers le monument historique le plus célèbre de France : la Tour Eiffel.

Quand on y arriva enfin, je me sentis obligé d'admettre que cet amas de métal valait bien le détour. Il brillait de mille feu, inlassablement photographié par quelques autres touristes en extase derrière leurs téléphones.

— C'est beau, souffla Milo.

Oh. Il me laissait là une très belle opportunité d'être gentil.

Tu es beau, répondis-je après une brève hésitation.

Sûrement que la fatigue liée à ma précédente crise me donnait les moyens de me montrer un peu plus courageux.

Il se tourna d'un bond vers moi, surpris et rougissant. Comme moi, il trouvait que les compliments dans et en dehors d'un endroit surchargé de monde n'avaient pas le moins du monde la même valeur.

— Pas autant que toi... mon amour.

Ce fut à mon tour de rougir. Je n'avais pas envisagé le fait qu'il puisse me retourner ma phrase. Surtout avec un tel surnom. Qu'étais-je censé répondre ? Je n'en savais fichtrement rien. Sérieusement, comment un type utilisant fréquemment le mot "fichtrement" était-il censé savoir flirter, bon sang ?

On ne dit rien de plus durant de longues secondes. En revanche, Milo attrapa ma main et la serra fort dans la sienne, le regard faussement perdu sur la Tour Eiffel. Ce simple geste me suffisait amplement. Alors, on resta ainsi un long moment, et ce moment était tout simplement... idyllique.

J'avais tellement peur que plus tard, mes souvenirs ne m'en privent définitivement. J'espérai de tout cœur n'avoir oublié que des détails futiles et inutiles. Or, je savais que ce n'était pas le cas.

 La mémoire humaine était atrocement complexe. Je la détestais. On s'attendait toujours à quelque chose la concernant avant d'en apprendre l'exact contraire. Comment un fait immatériel pouvait-il être aussi agaçant ?

— Milo ?

Je croisai timidement son curieux regard brun.

À cet instant, je n'avais pas envie de m'en faire pour le futur. C'aurait été aussi vain que de craindre la pluie avec un parapluie ouvert en pleine canicule. Non, à cet instant, ce que je voulais plus que tout au monde était juste à côté de moi, et tout allait bien. Alors...

— Oui, Noah ?

Je pris quelques secondes à répéter mentalement ma courte phrase. Je ne voulais pas la dire en bégayant. Bon sang, c'était vraiment une situation anxiogène pour moi.

— Je t'aime.

Même si nous sortions ensemble, il me semblait bien que je ne lui avais jamais dit aussi directement, me contentant de "moi aussi".

Mais je devais bien avouer que ces quelques mots m'avaient parus bien doux, bien délicats, adressés à mon petit...

À mon petit-ami.

Ce qui me sortit de mes pensées fut le sourire lumineux qui éclaira alors son visage.

Oh mes dieux, cela l'avait-il donc marqué à ce point que je ne lui dise pas hier ? Une vague d'angoisse et de culpabilité me noua la gorge et me fit baisser la tête. Avais-je encore mal agi ? Aurais-je dû m'y prendre autrement ? S'il se fâchait ou se montrait grandement soulagé, je risquais de pleurer. Oh, j'allais pleurer, même s'il n'avait rien dit.

Soudainement, il sauta presque dans mes bras et me serra de toutes ses forces contre lui. Surpris et ébahi, je lui rendis maladroitement son étreinte.

— Je t'aime bien également d'une façon totalement irrationnelle, me dit-il. Je t'aime, je t'aime, je t'aime. Je sais que tu as pris le temps dont tu avais besoin pour le dire et je ne voulais pas paraître dérangé en te le répétant en boucle... alors que j'en crevais d'envie. Mode bisounours activé : je le répéterai jusqu'à ce que j'en oublie le sens, mon pafa.

Finalement, ce n'étaient pas des larmes de tristesse qui brillaient dans mes yeux.

Il était la valeur "x" d'une grande équation nommée la joie, une équation que je ne pouvais pas résoudre en l'ignorant.

— Je t'aime, Milo, répétai-je en le serrant de plus belle contre moi.

Création 97Où les histoires vivent. Découvrez maintenant