Chapitre 2

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Je poussai un long soupir, lâchai le canon de mon fusil le temps d’essuyer la sueur sur mon front, et me remis en joue. Il devait être quelque chose comme dix-sept heures, et nous attendions l’assaut avec une impatience terrible. Comme pour se moquer de nous, le soleil nous avait arrosés toute la journée de ses terribles rayons, et malgré l’ombre partielle de ma guérite, j’avais presque eu du mal à respirer. Je me tenais dans l’une des tours qui flanquaient le poste de frontière. La seconde classe Parker, qui faisait partie des premières lignes, venait de temps à autre m’apporter de l’eau fraîche. Elle avait opté pour un fusil à pompe, qu’elle avait eu l’occasion d’utiliser pendant une émeute l’année passée, et à peu près tous les week-ends dans son jardin.

Elle était d’ailleurs là lorsque j’aperçus quelque chose bouger dans ma lunette.

— Je commencerais presque à avoir hâte que quelque chose se passe, maugréa-t-elle avant de porter la bouteille d’eau à ses lèvres. Tous ces gars qui attendent, c’est…

— Ils sont là, la coupai-je brusquement.

Elle poussa un drôle de cri étouffé et se précipita à mes côtés, contre le garde-fou de la guérite.

— Je… Oui, on dirait bien… Je descends ! Tout le monde en position, ordonna-t-elle d’une voix forte à l’ensemble du poste. Premières cibles en vue !

Je me concentrai sur la vision que m’offrait ma lunette et tâchai de distinguer les contours de ces ombres que la chaleur du sol faisait trembloter. Une dizaine d’individus sur une première rangée, presque autant alignés derrière.  Je les voyais approcher au fur et à mesure, se détachant sur le paysage de Piedra Negra en arrière-plan. Quarante maintenant.

Tous armés.

— Cinquante hommes armés, criai-je à mon tour, avant de marquer une pause. Soixante maintenant. Ils se tiennent par rangées de dix.

— Confirmé, lança le second tireur d’élite depuis sa guérite.

Les premiers se trouvaient maintenant à une cinquantaine de mètres, largement à ma portée. Mais il y en avait beaucoup trop, et ce monstrueux flux ne cessait de croître.

— Attendez mon signal, rappela le capitaine depuis le sol.

J’avais d’abord eu l’impression qu’ils couraient vers nous, et en réalité une partie d’entre eux marchait d’un pas incertain. Ils zigzaguaient, déformant leurs lignes de dix personnes. C’était étrange.

Je commençai à bien distinguer leur visage dans ma lunette alors qu’ils approchaient. Certains, ceux qui tenaient le cap et marchaient droit, arboraient cet air renfrogné et en colère des hommes qui vont au combat. D’autres jetaient de fréquents regards autour d’eux, beuglant des choses à leurs compagnons qui se dispersaient. Et ces derniers, une petite proportion, m’arrachèrent un long frisson.

Leur visage était déformé par de monstrueuses grimaces, qui leur tordaient les joues, les lèvres, les sourcils. Ils avaient le regard étrangement vide et les mains agrippées autour de fusils qui semblaient peser le double de leur poids. Mais ce qui me choqua le plus, ce fut leur blessures. Leurs maigres t-shirts étaient maculés de sang, formant comme des disques écarlates en plusieurs endroits de leurs torses et de leurs bras. Ces types avaient pris parfois une, deux, trois balles. Et ils marchaient vers nous, leurs faces déformées par la douleur, comme drogués.

Les gardant en joue, je grognai à l’intention de Gus.

— C’est quoi cette merde ? Certains d’entre eux devraient être morts ! Ils sont dopés ou quoi ?

Z - Où tout commenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant