Chapitre 34

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Tout autour se déployait un haut mur d'enceinte en briquettes rouges. Il laissait deviner la présence d'un vaste parc arboré, mais de là où nous étions, il était impossible de deviner la taille de la maison qu'il abritait.

Lolly abaissa sa vitre et je compris où nous étions en lisant les initiales dorées, sur le portail. Un grand "F" enluminé sur chaque battant.

- Lolly Foster, 1-5-7-14-8, dit-elle en s'adressant à un interphone fiché dans le mur.

Un petit "clic" retentit et le portail s'ébranla.

- Joli jardin, commentai-je alors que Lolly démarrait le pick-up et s'engageait dans l'allée.

- N'est-ce pas. Je ne suis pas sûre de m'être déjà promenée dedans, mais c'est vrai qu'il est joli.

- Oh ! Génial. Vous me faites le coup de la nantie complètement blasée, notai-je dans un soupir. Bientôt, je vais vous kidnapper pour vous emmener découvrir la vie dans les faubourgs de Badgad, et vous me supplierez de vous faire l'amour à la belle étoile en criant "je suis enfin vivante !".

Elle éclata d'un rire clair qui réchauffa bêtement mon coeur.

- Vous êtes complètement con, résuma-t-elle à la perfection.

Le chemin sinuait jusqu'au manoir, placé au sommet d'une petite colline. Je ne sus dire à quelle époque son architecture empruntait le style, mais les grandes colonnes blanches qui encadraient l'entrée m'évoquèrent immédiatement la Maison Blanche. Et une grandeur terriblement ostentatoire. D'immenses vitres à carreaux couraient le long des murs, parfois parées de roses trémières. Celles-ci attendaient la venue de l'hiver, les quelques derniers pétales jonchant le sol près des massifs. De fins gravillons crissèrent sous nos pneus alors que Lolly coupait le contact du pick-up. En descendant, je levai les yeux vers le toit d'ardoise rosâtre, incapable de dire si la maison comptait plutôt deux ou trois étages.

Pour parfaire le tableau d'une richesse résolument kitsch, deux poissons de pierre crachaient de l'eau dans une fontaine entre l'entrée et nous. Je poussai un long soupir sonore. Je sentais déjà la poussière dans les rideaux trop lourds, le luxe pesant et impersonnel qui prétendrait habiller chaque pièce sans parvenir à lui donner une âme.

-- D'habitude je recueille plutôt des exclamations émerveillées, mais j'imagine que c'est vous le blasé dans l'histoire, railla Lolly en contournant le pick-up.

Avant que je n'aie le temps de répondre, elle désigna du doigt une voiture de sport jaune. Je reconnus une petite Lotus Elise, à laquelle les rétroviseurs déportés donnaient l'air d'un insecte à antennes.

-- Cette salope ne peut même pas venir à pieds, alors qu'elle habite à côté.

-- Euh... Il va falloir éclairer un peu ma lanterne.

Elle vissa son regard dans le mien et je fus surpris par sa dureté soudaine.

-- Edward Foster, mon époux, se tape la voisine depuis des années. C'est de notoriété publique. Je suis souvent en déplacement. Je ne crois pas l'avoir déjà pris la main dans le sac... Mais là, je suis prête à parier que nous ne tomberons pas exactement sur une main dans un sac. Il est grand temps que je lui exprime mon point de vue sur la question.

Le silence monacal que nous entendions dans l'immense parc fut perturbé par une série de sirènes d'ambulances. Je me demandai si l'épidémie avait atteint Nassauville et ce quartier.

Tout en regardant Lolly, je me demandai dans quelle mesure ma situation pouvait-elle encore se compliquer.

Elle poussa l'imposante porte d'entrée sur laquelle s'étiraient deux magnifiques vitraux. Des roses s'y enroulaient autour d'une nouvelle lettre "F" et je me retins de rire.

Z - Où tout commenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant