Chapitre 17

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Ce qui me choquait le plus, en réalité, c'était la vitesse à laquelle les choses avaient basculé. Je me suis repassé la scène vingt, trente, cent fois dans ma tête pour essayer de comprendre à quel moment j'avais perdu le contrôle. A chaque fois, je revoyais Stella me dire "Il faudrait aller voir de plus près", en parlant du nez de cet avion qui dépassait du hangar. Et puis, quelques secondes après, je sentais à nouveau son étreinte, et ses derniers mots, qu'elle m'avait réservés. Moi, qui l'avais rencontrée deux jours plus tôt dans un bar. Ils auraient dû être pour ses proches, sa famille, ses amis, mais pas moi. Je ne les avais pas mérités. 


J'avais rencontré Stella deux ou trois jours plus tôt, j'avais perdu la notion du temps. Elle était particulière, comme nana. Particulière, parce qu'on rencontrait peu de filles comme ça au fond du Texas. Elle avait une fraîcheur, voilà, une espèce de fraîcheur qui m'avait attiré dès les premiers instants. Son sang froid lorsque nous avions pris soin de Gus m'avait impressionné. Et puis, pendant les premières heures de ce cauchemar, elle avait été terrorisée comme moi, mais elle avait eu le courage de le montrer. Pendant que je jouais les durs. Et maintenant, elle était partie et c'était pour toujours, et cette incroyable injustice me donnait envie de hurler.


Je n'étais plus qu'un tas de haine et de rancoeur, le poing serré sur un cordage dans la remorque d'un pickup américain. 

Gerry, assise à côté de moi, avait cessé de pleurer il y a longtemps et j'avais essayé de l'imiter, avec l'espoir que cela atténuerait ma douleur. Mais aucune larme n'était venue et c'était encore pire. Le visage de Barbe Rousse me revenait et je me promis, je promis à Stella, que je ne laisserais plus jamais quelqu'un d'autre prendre le contrôle de nos vies comme il l'avait fait.


Nous arrivâmes aux abords de San Antonio alors que la nuit était déjà bien avancée. Rick s'arrêta sur une aire d'autoroute, près de l'entrée de la ville, et sortit se dégourdir les jambes. Il fit quelques pas en titubant, et je réalisai au même moment que nous n'avions rien mangé depuis bien trop longtemps. Edwin sortit également de la voiture, et Gerry déplia lentement les membres engourdis de son corps, frottant ses yeux rougis par les larmes. 

— Nous sommes à San Antonio, lui annonçai-je. Je vais prendre la suite pour conduire. Jusqu'à Bay City ça fait trois heures, donc environ trois et demie pour atteindre la réserve où se trouvent ta femme et tes filles, ajoutai-je à l'intention de Rick qui avait trouvé appui sur le capot de la voiture. 

— Très bien. Un peu de repos sera le bienvenu, je n'en peux plus. J'ai un mal de ventre incroyable. 

— Nous n'avons pas mangé depuis quasiment vingt-quatre heures, notai-je dans une tentative de relativiser cette douleur qui nous étreignait tous.

— Pas sûr que ce soit la faim, grommela Edwin en donnant un coup de pied dans un caillou.

— Ouais, je sais. 


Un silence de plomb s'abattit sur nous, qui n'arrivions plus à soutenir le regard les uns des autres. Ce fut Rick qui relança la machine, sûrement parce qu'il avait son ancre à laquelle se rattacher de toutes ses forces.


— Allez, il faut que nous allions à la réserve avant que ce putain de virus n'arrive, s'exclama-t-il. Je vais faire le plein. Peter, tu peux aller chercher de quoi manger ? 


Il désigna du menton la supérette qui alimentait la station. J'acceptai volontiers, trop heureux d'avoir à nouveau un objectif dans la vie, aussi dérisoire fut-il. Les mains dans les poches de mon jean et l'oeil alerte, aux aguets, je m'approchai de la supérette. Elle arborait le nom "Lowerick and Sons", écrit en lettres capitales jaunes au-dessus de la porte à double battants. Le gérant, probablement Monsieur Lowerick, m'accueillit avec un fusil à pompe. 

Z - Où tout commenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant